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Le retour

19 février 2010 à 12h02

A mon retour au journal, mon chef m’accueillit d’une poignée de main :

Tu sais si le mental ne suit pas…

Je sous-entendais la suite en écho :

…rien n’ira vraiment bien.

Je n’étais pas surpris par cette forme de froideur. Avant l’hôpital, il m’avait convoqué dans un café pour me dire :

Moi, je veux avoir des relations claires et franches avec les gens. Il n’y a pas d’arrière-pensées. Mes intentions sont d’emblée affichées. A partir de ce moment, soit tu es avec moi, soit tu es contre moi.

Il y avait toujours eu des guerres de clans au journal, elles m’ont toujours fatigué, dégouté quand je voyais les recompositions, les revirements d’alliances, des journalistes de haute pointure utiliser leur crédibilité pour rendre machiavélique untel de la manière la plus violente, la plus publique, la plus obsessionnelle et de devenir son adjoint, voire son ami une fois celui-ci devenu directeur de la rédaction.

C’est pourquoi je ne saisis pas la perche tendue, je n’aimais pas les journaux coupés en deux. Pas d’allégeance, de l’indépendance ! Ce chef me le fit payer en jouant l’ignorance, exprimant de la méfiance, retenant les sujets pour les autres, me fabriquant un superbe isolement, exprimant sa reconnaissance de mes compétences professionnelles en ajoutant une défiance à ma propension à donner la parole aux gens que je croisais dans mes reportages, à travailler sur cette parole. Il m’usa à la longue. Je décidai de quitter les reporters et pour continuer à l’être dans un service fourre-tout entre la responsable des nécrologies et le chroniqueur télé !

Je voulais toujours faire ce travail d’immersion, d’écoute dans un lieu, de compréhension en croisant les dimensions. Je savais que je pouvais écrire autrement qu’en ciselant la parole des gens. Mais ça continuait de m’intéresser. J’avais été frappé par le choc du mouvement de décembre 1995, emporté dans l’écriture de leurs souffrance, analyses, rapport à l’histoire, espoir d’influer le cours de l’histoire, frappé par l’épopée du Mondial 98 où là aussi les Français dans toute leur diversité chantaient leur amour et leur fierté d’être ensemble. « Tous ensemble ! ». La première fois que je réentendis le slogan c’était aux alentours du stade de Lens et ça m’avait été un choc de voir le slogan transféré du terrain social à celui du sport. J’étais impressionné et heureux comme quelque chose d’un plaisir nouveau et inconsciemment attendu qui fondait dans mon cœur quand la foule scandait le nom du Joueur en le désirant « Président ! »

Hormis la couverture des JO d’Atlanta, deux reportages au Mali, le journal me proposa pour la première fois un long voyage dans un pays profondément en paix en treize ans d’ancienneté : le Brésil. J’étais fou de joie, c’était un pays où je faillis m’installer à l’âge de vingt-trois ans. J’explorai les traces de Lula, travaillai sur le travail esclave, fit le portrait la maire de Sao Paulo. J’y allai plusieurs fois.

Un attaché de l’ambassade de France m’avait littéralement « accroché » la première fois. Il était Brésilien. « Pourquoi ne se verrait-on pas. Je suis ancien journaliste, je peux t’aider ». Je ne me souviens plus comment il s’est débrouillé à se retrouver invité sans sa femme à un dîner chez mon traducteur. Il me fit du gringue de manière habile et parfois incontrôlé au point que le traducteur interrompit une conversation pour s’exclamer en nous regardant tous les deux :

Eh bien ça a l’air de marcher entre vous !

Il ne protesta pas, continua son numéro de charme, me proposa de me raccompagner à mon hôtel. Je lui suggérai de boire un cocktail au bar. Nous nous installâmes à l’écart. Il était heureux, encouragé par l’alcool, me déclara que j’avais de très beaux yeux, qu’il était intimidé, que ça allait peut-être être la première fois qu’il allait faire l’amour avec un homme, qu’il ne fallait pas se méprendre, il allait rester hétéro. Il allait vraiment envie d’essayer. Il était plutôt beau mec, son hétérosexualité m’excitait, cela me rendait femelle, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer que je pouvais remplacer sa femme. Notre séduction déclarée nous rendait euphorique et de plus en plus hardi à nous faire ressentir notre désir l’un pour l’autre. Cela devenait une urgence d’aller dans ma chambre.

Une fois la porte de celle-ci refermée, il s’assit sur le canapé, attendit mon premier geste, un sourire un peu gêné. C’était la première fois que je voyais des pectoraux de sportifs. Je cherchais à l’embrasser. Ma bouche ne savoura que ses lèvres : il serrait les dents ! Elle descendit sur son sexe. Je sentis son plaisir augmenter. Il l’interrompit brusquement et décida de partir. Il m’appela et me voyait tous les jours, me dit que c’était la première et dernière fois cet égarement de sa part. Je sentis que notre relation était pourtant de l’ordre de l’amitié amoureuse. Il éprouvait du plaisir à cultiver l’ambiguïté, répétant même qu’il n’était pas insensible à un certain érotisme entre nous, mais qu’il était marié et père d’un enfant :

Qu’est-ce que tu veux, que j’abandonne ma famille et que je m’installe à Paris ?

Il se tenait à cette impossibilité, m’invitant à un concert ou à boire un verre dans un bar, me laissant le plaisir de l’inviter à dîner en tête-à-tête. C’est ainsi qu’il m’apprit l’existence d’un sale coup que les services secrets américains firent à leurs homologues français. Il n’entra pas dans les détails. Il aimait s’amuser et me dire que j’allais être arrêté par la police fédérale brésilienne.

Depuis Paris, je l’appelai et c’était comme un amour platonique. Il donnait le change. Quand je revenais à Brasilia, il arrivait avec deux ou trois heures de retard au rendez-vous du premier dîner. Il était devenu diplomate brésilien, prétextait le travail, soufflait le chaud et le froid. Il était toujours très élégant, sensible et perméable à mes avances, me confiant que j’étais d’une certaine manière important pour lui.

De fil en aiguille, j’atterris à Terra di Miu, la Terre du Milieu, le far-west en pleine forêt amazonienne. C’était la ruée vers ce territoire que des paysans et des voyous défrichaient et brûlaient pour le convertir en prairies de pâturage. Tout se faisait dans l’illégalité. L’étranger était chassé. La plus grande universitaire, spécialiste de l’Amazonie, avait été brutalement reconduite, vertement menacée. Les pionniers cherchaient à s’éliminer entre eux pour agrandir leur domaine. Dans le bled où j’atterris avec un photographe, il y avait plus de magasins de pompes funèbres que de bars pourtant très nombreux pour enivrer ces aventuriers.

Nous faisions équipe avec une bande : le chef, les sous-chefs et les cow-boys. L’ambiance était bonne. C’était des déconneurs. Nous convoyions un troupeau à travers les terres brûlées. Des camions emportaient des bois précieux. Notre expédition dura plusieurs jours. J’étais intrigué par un jeune cow-boy, « Terra Secca », surnommé ainsi parce ce que son actuel patron l’avait découvert à dormir à même la terre un matin au Matto Grosso. Il avait vingt ans. Son visage n’était qu’un sourire permanent, irradiant, hypnotique, adressant un rayonnement troublant de bonté et de joie de vivre. Je passai mon temps à le contempler par amour de sa beauté et par curiosité. Il devint vite magnétique afin d’être aussi solaire. Au bout du quatrième jour, je craquai. Je baragouinai dans un mauvais portugais que j’étais littéralement tombé amoureux de lui.

Il me souria une nouvelle fois et me répondit oui à ma proposition de nous retrouver dans un lit. Le lendemain, c’était jour de repos. Tout le monde gagna le bled où j’avais une chambre. Après un tour en ville, je retrouvai le groupe de cow-boys assis devant l’hôtel. Ils riaient, me charriaient en répétant « Terra Secca ! Terra Secca ! » mais je ne sentais pas de condamnation. Un autre cow-boy s’apercercevant de ma fascination pour son ami m’avait adressé toute la journée un regard qui exprimait un désir en feu !

Je proposai à Terra Secca de gagner ma chambre et de prendre une douche s’il le voulait. Il était gêné et me répondit non à voix basse. Le soir, ses patrons me forcèrent à les accompagner boire des cachaças dans des bars à putes, sortes de cabanes en bois où des Indiennes étaient contraintes de se donner. Ils étaient lourds, je me forçais à m’amuser avec eux. J’étais mal en mon for intérieur. Nous gagnâmes leur camp de base à l’orée de la ville au bord d’une rivière. Bizarrement, je m’écroulai sur mes genoux, totalement abruti par l’alcool. Aussitôt, ils se groupèrent devant moi, debout et serrés devant ma bouche. Je compris, j’étais dégoûté, je m’expulsai de là, voulus voir Terra Secca, le réclama. Ses patrons me conduisirent à son hamac, le secouèrent violemment. Il grogna, se réveilla, contempla ses chefs, étonné, recouvra, à ma vue, un sourire divin. On me donna un hamac. Le matin, on m’avertis qu’il fallait que je déguerpisse de là au plus vite. J’étais menacé de mort si je restais une journée de plus. Mon reportage devenait gênant.

A Brasilia, je retrouvai mon diplomate brésilien. Il insista pour que nous rendions visite à un cadre supérieur de l’Office de protection des Indiens d’Amazonie. Celui-ci, un quinquagénaire, me proposa d’aller à la rencontre d’Indiens qui n’avaient jamais vu de Blancs. C’était une équipée à deux, lui équipé d’armes, une plongée dans des profondeurs amazoniennes coupées du reste du monde. Je ne sentais vraiment pas ce type. Il insistait trop, on aurait dit qu’il jouait sa carrière pour que j’accepte. Mon ami diplomate faisait aussi un grossier forcing pour que je cède. Du coup, je perdis toute confiance en lui aussi. C’était bizarre, j’avais l’impression qu’ils voulaient m’embarquer dans un traquenard.

Pour consulter le blog depuis son premier épidode : http://ballondumondial.blogspot.com/

Adel La belle Isabelle