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Le pape du sopi a fait beaucoup pour le voyage

samedi 24 février 2007 par Aziz Seck
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Loin de l’effervescence qui avait accompagné l’élection du « vieux » en 2000, mettant un terme à quarante ans de pouvoir du parti socialiste sénégalais, la présidentielle du 25 février ne suscite pas l’enthousiasme de la jeunesse. Son avenir : elle le voit dans une pirogue.

Tous les matins, Moussa emprunte les chemins sableux qui mènent hors du quartier Diacksao. Avec ses amis, d’autres Goorgoorlu [1] , il marche sans se presser jusqu’à Thiaroye plage. Il a tout son temps. Aucun patron ne l’attend. Il a toute la vie devant lui, grâce au président Wade qui a fait encore plus fort que les 35 heures. Les 0 heures. Le seul problème, c’est qu’elles ne sont pas encore rémunérées. Ce sera le prochain « sopi » (changement en wolof). Le paysage est tout sauf riant. Bien loin des cartes postales du club Med.

Banlieue dakaroise, maisons décaties et basses, souvent inachevées. Moussa croise les charrettes tirées par des ânes qui ont pris encore plus de coups que les hommes politiques de l’opposition. Il croise aussi les « clandos ». Rien à voir avec des candidats à l’émigration clandestine, il s’agit des 4 L poussives, taxis de fortune prisées pour les habitants du quartier. Car elles coûtent à peine 100 CFA du trajet. Sur le pas des portes, des femmes survivent en vendant ce qu’elles ont sous la main. Parfois, une poignée de haricots verts ou d’arachides qui ne trouveront peut-être jamais preneur. Elles attendent encore les effets bénéfiques du « NEPAD » dont la télé, confisquée par le « vieux » parlent à longueur de journée. Les petits « talibés » aux yeux fiévreux écument le quartier dans l’espoir de trouver les quelques pièces qui leur permettront de se remplir le ventre.

A Thiaroye se trouve la côte la plus proche, celle d’où partent les pirogues qui emmènent les clandestins jusqu’aux lointaines Canaries. Sur la route de Thiaroye plage, Omar et ses copains croisent des centaines d’autres jeunes qui errent dans le quartier sans but précis. Sauf trouver un moyen de fuir. Eaux stagnantes depuis les inondations de septembre 2005, palud, routes défoncés, infrastructure à l’abandon, les soucis ne manquent pas. Plutôt que les problèmes de sa ville, le maire Amadou Yoro Sy préfère évoquer sa volonté irrépressible de découvrir l’Australie : « Grâce aux jumelages, j’ai visité beaucoup de beaux endroits en Europe, mais je ne connais toujours pas les antipodes. Je ne sais pas pourquoi j’ai un tel désir ! Peut-être parce que je n’ai jamais vu de kangourous. »

A Thiaroye plage, Omar et ses copains préparent le "ataya", le thé sénégalais. Le plus fort est surnommé Saddam en hommage à l’ex-Président irakien. Depuis la plage, ils assistent à l’arrivée des pêcheurs lébous. Une fois encore, ils font grise mine : les filets sont presque vides. Certains se sont déjà reconvertis dans l’émigration clandestine. A défaut de « thiof »(le mérou), ils prennent des clandestins dans leurs filets. Parfois, plusieurs fois les mêmes. Certains clandestins ont été renvoyés quatre fois au Sénégal. Et à chaque fois, ils se sont repayés un nouveau « voyage pour l’enfer ». Ou plutôt leur famille s’est endettée pour leur offrir cet « aller simple vers l’au-delà ». « Dans une pirogue, ils peuvent transporter 80 personnes. Chacun des candidats à l’émigration paye 500 000 francs CFA (762 euros). Après un passage réussi, la fortune est faite », explique Omar qui sait aussi que les pêcheurs ne se contentent pas d’être des passeurs.

Les gens partent parfois sur un coup de tête : « Quelques fois ce sont des écoliers qui voient une pirogue le matin en partant à l’école et ils décident de rejoindre les autres candidats au départ. Dès que leurs parents ont réuni l’argent. L’autre jour, une grande sœur a mis de force son petit frère dans la pirogue. Seulement, il est mort en mer, depuis toute la famille est fâchée avec elle », décrit Semba, un autre jeune du quartier.

Les plus rêveurs songent à une émigration en bonne et dûe forme. Mais.  « Sans diplôme et sans profession comment puis-je obtenir un visa ? » s’interroge Semba, abreuvé par ses amis émigrés de récits sur la douceur de vie en Espagne… « « ceux d’entre nous qui sont morts pour émigrer sont très respectés dans le quartier. Ils sont morts pour faire vivre leur famille. Comme on dit ici c’est Barça ou Barsakh ! (Barcelone ou la mort en wolof) » ». Au consulat de France l’accueil est tellement chaleureux que les eaux glacées de l’océan atlantique apparaissent presque comme un moindre mal…

Il y a tout juste sept ans, à la veille de la présidentielle de 2000, ces mêmes jeunes étaient plein d’espoir : pour eux mais aussi pour leur pays. « Pendant les meetings, Wade demandait à tous les chômeurs de lever la main et il promettait que dès son arrivée au pouvoir, il allait leur donner un emploi. Sept ans plus tard, on n’a rien vu venir. Aujourd’hui, on fait une blague à ce propos. « Le vieux » revient en meeting et demande à ceux qui ont trouvé un emploi de lever la main. Les deux seuls à le faire sont sa fille et son fils », s’amuse Moussa. Comme beaucoup d’autres Sénégalais, Moussa s’étonne que les deux enfants du « père de la Nation » ne parlent pas wolof et qu’ils soient revenus au pays uniquement lorsque leur papa est arrivé au pouvoir.

En 2000, les jeunes du quartier s’étaient battus pour éviter que le scrutin ne soit truqué. Aujourd’hui, ces mêmes jeunes s’étonnent de n’avoir toujours pas reçu leur carte : « On dirait qu’ils veulent nous empêcher de voter », s’exclame l’un d’eux, qui imagine difficile qu’un homme qui a mis plus de trente ans à parvenir au pouvoir accepte de le quitter par la seule grâce des urnes. « Le vieux a déjà l’air presque mort, mais il faudra qu’il soit totalement mort pour accepter de quitter le pouvoir », plaisante un copain de Moussa, qui a vu sur Canal Horizon des films d’horreur sur les morts vivants et qui se demande si son pays ne serait pas sur le point d’en tourner un.

Face aux sombres desseins prêtés au régime, certains habitants du quartier n’hésitent plus à appeler de leurs vœux un bon vieux putsch dont l’Afrique francophone a le secret. « Si le régime en place organise des fraudes, il faudra que l’armée intervienne. Il vaudrait mieux un régime militaire que le chaos ou la gabegie ! », estime un commerçant de Diacksao, qui reconnaît lui-même qu’il n’aurait jamais tenu ce type de discours il y a sept ans. A l’époque où il croyait encore à la parole des hommes politiques. Même les avocats de formation. Mais depuis il a beaucoup vu à la télé Wade, Madelin -grand copain de Wade- et Sarko alors forcément il se méfie.

Symboles des promesses non tenues, dans la rue principale qui traverse Diacksao des lampadaires flambants neufs ont été installés il y a cinq ans, mais ils ne sont toujours pas alimentés en électricité. « Ils vont peut-être nous donner le courant à la veille des élections » ,ironisent les habitants de Diacksao qui savent que leurs édiles sont tout sauf des lumières.

Autre amélioration à mettre à l’actif du « pharaon Wade » comme ses thuriféraires aiment à l’appeler, la rue a été bitumée multipliant les accidents de « car rapide », jusqu’à ce que les habitants construisent, las d’interpeller le pouvoir, un dos d’âne de fortune. « La politique, c’est l’un des seuls moyens de se faire un peu d’argent. Nous avons monté un comité de soutien à Abdoulaye Wade. On milite pour le Chef de l’Etat, car c’est lui qui a le plus d’argent, mais je voterai pour Idrissa Seck », prévient Aïcha une étudiante en histoire qui a compris que c’est l’argent qui mène le petit monde dakarois.

Lors des derniers mois, le quartier s’est un peu embelli, ce qui n’avait rien d’une mission impossible. Les deux premiers cyber cafés sont apparus. Sur quelques maisons, des étages supérieurs ont été construits, grâce à l’argent envoyés par les émigrés : « Si les portes de l’Europe se ferment, Diacksao va être complètement asphyxié. Notre gouvernement promet d’aider les Espagnols à combattre l’émigration clandestine, pour nous ce sont des traîtres. Certains jeunes ont investi tout l’argent de leur famille pour émigrer. Quand les Espagnols les renvoient au Sénégal, ils n’ont plus rien. Ils sont humiliés et ils n’ont pas les moyens de rembourser l’argent emprunté à leurs parents », estime un habitant du quartier qui s’interroge sur la santé mentale du président. « Comment peut-il accepter que les Espagnols renvoient les nôtres au Sénégal ? De quoi va –t-on vivre ? ». Wade amuse d’autant plus qu’il est perpétuellement en voyage. Il fuit régulièrement le Sénégal. Mais il est vrai qu’il ne voyage pas encore en pirogue. Il préfère les voyages en avion en compagnie d’une cohorte de « griots » qui chantent ses louanges au dessus des eaux tempétueuses de l’Atlantique. Mais c’est sans doute le propre des grands intellectuels ; depuis les hauteurs ils n’aperçoivent pas le commun des mortels : ceux qui ont la tête dans l’eau et qui rament sur le « grand bleu ».

Lutte contre l’immigration : les limites de la politique européenne

Des unités de sécurité sénégalaises, espagnoles et italiennes effectuent depuis le mois de septembre 2006 un merveilleux ballet nautique le long des côtes du Sénégal pour lutter contre l’immigration clandestine : elles sont organisées par Frontex, l’agence européenne qui s’occupe de la sécurité extérieure des frontières de l’U E. Depuis la mise en place de ce tourisme côtier d’un nouveau genre, la presse sénégalaise rapporte chaque mois des centaines d’arrestations de candidats à l’émigration. Pour éviter d’être arrêtés par ces patrouilles, les desperados effectuent des parcours de plus en plus périlleux afin de rejoindre les îles Canaries. Les Sénégalais s’embarquent fréquemment depuis la région de Ziguinchor en Casamance. Mais ils sont aussi nombreux à s’aventurer encore plus au Sud : sur les côtes de Guinée-Bissau où la surveillance des autorités locales est très réduite. Depuis Bissau, les pirogues qui embarquent souvent 80 passagers naviguent toujours plus au large pour éviter les patrouilles de Frontex. « Nous sommes partis de Bissau avec deux pirogues, nous a expliqué un rescapé. Les pilotes disaient qu’il fallait partir au large pour éviter de se faire arrêter. Notre pirogue ne s’est pas éloignée autant car les femmes étaient terrorisées. Nous avons été arrêtés près de Dakar. L’autre pirogue est partie plus au large, à 100 kilomètres des côtes. Personne ne les a jamais revus. Ses passagers sont portés disparus ». Merci l’Europe…

Un autre gorgoorlu du quartier ajoute : « Le projet des Espagnols et du gouvernement de les ramener à l’agriculture est ridicule. Les campagnes sénégalaises sont en train de mourir. La culture de l’arachide ne rapporte plus rien. Qui va quitter les villes pour aller creuser dans le désert ? »

L’envie d’émigrer est d’autant plus forte que la vie se durcit à Diacksao. « La plupart des habitants du quartier se lèvent le matin sans savoir comment ils vont trouver leur dépense quotidienne ou faire un repas par jour », expose Aminata, une jeune femme qui rêve d’épouser un « Italien », un Sénégalais émigré en Italie.

Signe des temps, la nuit, il n’est plus possible de rentrer à Diacksao sans décliner son identité : des « milices » rémunérées par les habitants assurent la sécurité. « Si vous vous voulez rentrer dans le quartier après minuit, vous devez dire qui vous allez voir. Si la personne ne vous attend pas réellement, vous serez tabassé » prévient Moussa qui considère la montée de la violence comme une fatalité. Elle va s’accentuer aussi sûrement que le nombre de pirogues en partance pour les Canaries va augmenter. C’était peut-être ça le sopi promis par Wade.

A Diacksao, le sentiment d’exclusion grandit aussi du fait de la flamboyance croissante du centre de Dakar. Signe des temps : la boutique « la pécheresse » y vend de la lingerie féminine coquine à prix d’or. De grands immeubles blancs immaculés fleurissent dans le plateau et les Almadies. Les grands crus de Bordeaux coulent à flot dans les restos chics. La « coco » a de plus en plus d’adeptes. Visiblement la crise ne touche pas tout le monde de la même manière. Certains échapperont aux « pateras ». « Là-bas, un bel appartement se loue désormais 1,8 million francs CFA par mois (3000 euros). Qui peut payer une telle somme ? Un professeur de l’enseignement secondaire gagne 200 000 francs CFA par mois (300 euros) », estime Ousmane, un instituteur de Diacksao.

Du fait de la multiplication des travaux, l’accès au centre de Dakar est de plus en plus difficile. Alors que Diacksao se trouve à 14 kilomètres du centre de Dakar, il faut trois heures pour s’y rendre. Les embouteillages sont presque permanents. Même à minuit ou une heure du matin. Seul avantage de ces « go slow » à la nigériane, les hommes adultères ont une bonne excuse pour rentrer tard à la maison. S’ils votent tous pour Wade, ça pourrait bel et bien sauver son poste. Mais rien n’est moins sûr. La hausse du coup de la vie ne fait par leur affaire. Curieusement l’Europe peut sembler parfois plus proche. Le portable continue de sonner. Les copains donnent des nouvelles d’Italie, d’Espagne, de France ou même d’Amérique. Ils mettent des mots sur les images qu’apporte chaque jour Canal horizon (filiale de Canal +) dans leurs maisons. « Une famille s’abonne et les autres bénéficient de raccordements clandestins », assure l’un des goorgoorlu. « Pendant très longtemps, à force de regarder les séries américaines, comme Dallas, on a cru que la France ressemblait à ça. Maintenant on sait que l’Europe n’est pas ainsi. Mais on continue à vouloir partir, quitter ce pays où l’on ne peut rien faire. Attendre que les copains envoient de l’argent pour nous aider à partir. A les rejoindre ».

Le cellulaire continue de sonner. Un nouvel appel d’Europe. Moussa prend son temps avant de répondre. Il regarde l’horizon, des pirogues approchent. Il ne parle plus de la présidentielle. Des espoirs de la politique « Tout ça me parait déjà si loin ! », confie-il, avant de décrocher son téléphone.

[1] Débrouillards en wolof, la langue la plus parlée à Dakar


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3 MESSAGES

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  • Le pape du sopi a fait beaucoup pour le voyage
    le dimanche 25 février 2007 à 18:17, el sebbo a dit :
    Très bel article, qui nous fait découvrir l’autre versant du Sénégal, loin des clichés médiatiques… Bravo et continuez le travail ! Il faudrait décidément plus de jopurnalistes comme vous !
  • 300 millions de jeunes africains vont arriver sur le marché du travail d’ici 2030.
    le samedi 24 février 2007 à 18:18, emmanuelle a dit :
    A cause de la très forte natalité en Afrique malgré la chute de la mortalité infantile, 600 millions de personnes ont moins de 25 ans. Au moins 300 millions devront trouver du travail dans les 25 années qui arrivent.
    • 300 millions de jeunes africains vont arriver sur le marché du travail d’ici 2030.
      le lundi 26 février 2007 à 18:06, citoyen a dit :
      on dois chercher le makhzen au…senegal .le pouvoir en place est son ami intime…les societés du pere jaquot delocalisent au maroc..et celle de makhzen marocain delocalisent au senegal…pour que le pouvoir senegalais soit credible il doit se separer du makhzen.car il a une mauvaise reputation en matiere des droits de l’homme.
      • le cinema à annaba
        le vendredi 9 mai 2008 à 14:25, Babi a dit :
        j’ai ouvert à Annaba plus précisément à El Hadjar une salle cinéma appartenant à cette daira où beaucoup de jeunes trouvent une habitude à venir se prélasser à regarder un film ou un match de foot dans la convivialité et la bonne ambiance. Je voudrai en ouvrir d’autres à Annaba ville ou à Alger où beaucoup de salles, en délabrement total, sont fermées, servant parfois de cafétérias précaires. J’ai fait plusieurs dossiers de demande pour acquérir une de ces salles aucune réponse ne m’a été donnée, Je me demande à quelle porte il faut frapper. Je vous invite par ailleurs de venir visiter cette salle où je me suis investi totalement. Merci de me répondre
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