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L'investigation, de l'affaire « Dreyfus » au grand reportage

25 mars 2010 à 12h31
Dans l’air du temps à la fin du XIXe siècle, le journalisme d’investigation n’apparaît réellement en France qu’en 1894 avec la révélation par Émile Zola dans L’Aurore, de « l’affaire Dreyfus », du nom du capitaine de l’armée française, Juif d’origine alsacienne et condamné injustement au bagne pour trahison.

A l’époque, le fait-divers est un genre en vogue dans la presse, enseignant aux journalistes les qualités de l’enquêteur et la valeur du récit [1].

Afin de sensibiliser l’opinion publique sur la fragilité des preuves retenues contre Alfred Dreyfus, Émile Zola publie « J’accuse », un plaidoyer qui mobilise de nombreux intellectuels, ébranle la vie publique française, et permet au capitaine d’obtenir la grâce présidentielle en 1908, après des années de bataille judiciaire.

Si cette affaire a joué un rôle important dans la prise de conscience du pouvoir d’investigation de la presse française pour dénoncer les mensonges officiels, le sociologue Jean-Marie Charon [2] avance deux autres arguments pour expliquer la pérennisation de l’investigation au sein de la profession : l’influence anglo-saxonne, qui a amené le modèle du reportage, et le courant littéraire « naturaliste », forme de journalisme « scientifique » privilégiant l’enquête sociale sur le terrain [3].

C’est cette mixture de journalismes complémentaires qui va faire la renommée de grands reporters comme Albert Londres et Joseph Kessel. Ceux-ci ont donné la part belle au récit, contrairement aux journalistes d’investigation actuels, qui recherchent exclusivement le secret [4].

Mais leurs périples du début du XXe siècle permettent à l’époque au journalisme de jouer son rôle de contre-pouvoir. Ainsi, un an après ses révélations sur la condition des prisonniers de Cayenne [5], en Guyane française, Albert Londres réussit avec Au Bagne à faire fermer les portes de l’établissement pénitencier. Leurs enquêtes contribuent également à ancrer l’investigation au début du XXe siècle, en forgeant l’état d’esprit de l’investigateur actuel qui, tel Jean-Marie Pontaut, Chef du service « Investigation » de l’hebdomadaire L’Express, aime se retrouver « au cœur des choses, vivre des affaires un peu folles » [6]. Enfin, en essayant d’appuyer leurs informations par d’autres témoignages lors de leurs enquêtes, les grands reporters du début du XXe vont présenter un avant-goût des méthodes utilisées par les investigateurs aujourd’hui.

Après guerre, de jeunes journalistes comme Jacques Derogy et plus tard, Jean-Marie Pontaut, vont prendre le relais pour donner à l’investigation une forme plus contemporaine.

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Le « journalisme d’investigation ». La formule agace bon nombre de journalistes, qui pointent du doigt l’utilisation, pour désigner cette méthode journalistique, d’un terme anglo-saxon auquel ils trouvent dans la langue française un équivalent (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Sous les pavés, un journalisme de combat Investigation, enquête, contre-enquête : une querelle de mots

Notes

[1] Hunter, Mark, Le journalisme d’investigation aux États-Unis et en France, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Juin 1997, p. 62.

[2] Charon, Jean-Marie, Le journalisme d’investigation et la recherche d’une nouvelle légitimité, Hermès 35, Année 2003, p. 137 – 144.

[3] Cf. Ruellan, Denis, Le Professionnalisme du flou, Grenoble, PUG, 1993, p. 115 à 129.

[4] Hunter, Mark, Le journalisme d’investigation aux États-Unis et en France, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Juin 1997, p. 62.

[5] Londres, Albert, Au Bagne, Le serpent à plumes, 1998.

[6] Derogy, Jacques, et Pontaut, Jean-Marie, Investigation, Passion, Fayard, 1993.