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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

L’année du cochon

lundi 26 février 2007 par Akram Belkaïd
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Habituellement, cette portion de rue est sombre, à peine éclairée par un réverbère souffreteux. Les rentrants chez eux y accélèrent le pas, attentifs aux voitures qui dévalent le faux plat, se sentant peu protégés par l’étroit trottoir et les maigres quilles métalliques et creuses qui le bordent. Mais ce soir, c’est une autre ambiance. Longtemps fermée, quelques mois en travaux, une supérette - jadis un Felix Potin puis une enseigne à bas prix - fête son inauguration.

Il y a des lampions qui balancent un peu de guingois en faisant vaciller leurs flammes. Toujours à l’extérieur, le long de la vitrine bardée d’autocollants, qui annoncent une prochaine dégustation de cuisine à la vapeur, il y a de grands bouquets de fleurs multicolores. Barrées par de larges rubans rouges où sont imprimées des idéogrammes dorés, les enveloppes en cellophane semblent frissonner et il ne faut guère d’imagination pour se dire que ces treize bouquets - six sur le côté gauche de la porte d’entrée, sept à droite - se serrent les uns contre les autres pour se tenir chaud.

Sur le trottoir, et même sur la chaussée, des hommes se congratulent, jonglent avec deux ou trois téléphones portables cela sans faire tomber leur cigarette ou leur chapelet de jade. L’un d’eux, peut-être le patron ou son représentant, accueille visiteurs ou curieux interloqués de constater que l’Asie du treizième arrondissement déborde vers le Paris du sud-ouest.

J’entre sans me faire prier. Première halte devant le rayon des fruits. Il y a ceux que l’on connaît, qui sont entrés dans la banalité. Ananas, kiwis, kakis, fruits de la passion ou litchis. Et puis, il y a ceux qui sont connus mais plus rares. La goyave au jus incomparable et la mangue dont les étiquettes indiquent le mode d’acheminement : bateau ou, insensée mondialisation, avion. Cueillie deux jours plus tôt en Malaisie, débarquée à Roissy la veille et conditionnée le matin du côté de la porte de Choisy avant d’être livrée.

- C’est super, c’est comme à Phuket, dit un jeune au téléphone. Je prends de la papaye, d’accord ?

- Vous savez quel goût ça a ?, lui demande une vieille dame.

- C’est bon, surtout quand c’est mûr, lui dit-il en affichant le flegme du client expérimenté (qui tranche toutefois avec son excitation téléphonique).

Mais pour vous habituer prenez du melon à corne. C’est un mélange de melon, de citron et de banane.

Elle obéit. Je pense à faire comme elle mais voilà que je repère un autre fruit d’ailleurs. L’anone, la « achta » arabe ou pomme cannelle ou encore chérimole. Un fruit vert avec des écailles qui font penser à une tête de reptile et dont la chair blanche - gâchée il est vrai par de gros pépins - n’a rien d’égal surtout lorsqu’on l’arrose avec un peu de jus d’orange ou d’abricot. Bientôt, globalisation oblige, on mangera de la tarte ou de la glace d’anone dans les brasseries parisiennes.

- Je ne savais pas que ça avait été racheté par des Chinois ! s’exclame une femme en manteau noir. - Bah ouais, lui répond son mari. C’est peut-être les mêmes qui ont racheté le bar-tabac d’en haut. C’est les seuls qui achètent en ce moment. Ça fait que commencer.

Il a un geste fataliste, le même que l’on a quand on se sent impuissant. Le couple continue sa promenade entre les rayonnages. Je les suis en feignant de m’intéresser aux paquets de nouilles ou de riz gluant. A voix un peu plus basse, elle s’étonne que toutes les caissières soient chinoises. Il lui répond que cela n’a rien de surprenant. Elle prend une boîte de thé au ginseng, lui fait remarquer le nombre important de clients asiatiques et se demande s’ils habitent tous le quartier. Il dit qu’il n’en sait rien mais qu’il aimerait bien acheter quelques soupes sous vide.

Me revoici devant les fruits. Je m’offre un voyage pour pas cher. J’hésite à acheter une pièce de Than Long Khoy Thaï, un fruit roux qui a la forme d’une bestiole de science-fiction avec ses longs filaments tortueux. Allez savoir quel goût cela peut avoir. Ah tiens, voilà du LongKong, qui ressemble à de petites pommes de terre. Cher le kilogramme, très cher mais cela n’empêche pas des clients empressés d’en acheter par grappes entières. J’apprendrais plus tard que c’est un fruit qu’il convient d’offrir pour la nouvelle année, celle qui commence étant, vous le savez, celle du cochon (bonne pour le business mais susceptible de favoriser orages et disputes).

Je m’interroge encore. De la carambole ? Fruit en forme de trépan pour forage qui, m’explique une petite brochure explicative, est recommandé pour les diabétiques. Ou alors cette sorte de poivron qui a pour nom physalis et dont l’étiquette apposée sur le cellophane de conditionnement m’apprend que cela s’appelle aussi un « amour en cage » (c’est poétique) ou de la « cerise de terre » (c’est inattendu). « Pour desserts, confitures ou sauce accompagnant les volailles ». Je repose. Pour l’aventure, on attendra un peu.

J’hésite toujours. Mangoustan (une grosse coquille violette) ? Du Bah Tchou Tchouk (baie rosâtre) ? Du Ramboutan qui avec ses pointes crochues rappelle un oursin ? Du « Train Man Champoo », qui ressemble beaucoup au cannelé bordelais - mais en a-t-il le goût ? Ne prenons pas de risque : soyons beauf. En fait, pas vraiment beauf car je sais ce que je cherche. Et je pense qu’il n’y en a pas car mon nez me l’aurait immédiatement signalé. Cela s’appelle du durian et son odeur rappelle la… oui, c’est bien cela, je vous l’assure. A côté, les boules puantes, l’oued El-Harrach ou le ploum-ploum sont inoffensifs. Mais, si l’on se pince le nez et qu’on goûte ce fruit, on comprend pourquoi c’est le dessert préféré de millions d’Asiatiques.

J’abandonne. J’embarque deux poires Yali et une poire Xang Li (saveurs acidulées, un peu sablées - c’est la dernière fois que je trahis la comice) et, au hasard, quatre saboutiers du Vietnam (magistrale erreur car comme laxatif, il y a moins cher !). Je vais vers la caisse. Intriguée, la dame en noir soupèse un paquet de Thit Cha Bong. Et ça, je connais bien, je peux lui expliquer. Il y a quelques années, au sud de Taipeh, j’ai trouvé sur ma table du petit déjeuner un gros bol contenant une sorte de coton marron effiloché. J’ai goûté. La chose était sucrée et presque croustillante. Un délice. Mais un confrère indonésien a mis fin à mon festin. « C’est du porc séché », m’a-t-il chapitré. Bienheureux l’ignorant qui goûte sans savoir…


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