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L’Irak et le pillage de l’Histoire

lundi 1er octobre 2007 par Akram Belkaïd
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Dans le flot continu d’informations catastrophiques en provenance d’Irak, il en est une qui est passée presque inaperçue malgré son importance indéniable. Il s’agit du pillage organisé des vestiges antiques ; un vol à grande échelle que vient de dénoncer le journaliste britannique Robert Fisk [1]. Chaque jour - ou chaque nuit - d’anciennes villes sumériennes, dont certaines ont sept mille ans d’âge, sont excavées, et, le plus souvent gravement endommagées, par des bandes à la recherche de bijoux ou de pierres précieuses. Selon Fisk, qui se base sur un rapport de l’archéologue libanaise Joanne Farchakh à paraître en décembre prochain, les dix mille sites mésopotamiens que compte le pays sont systématiquement dévastés dans ce qui s’avère être le plus grand phénomène récent de contrebande archéologique.

Certes, ce n’est pas du sort des populations irakiennes dont il est question et d’aucuns pourraient penser que s’inquiéter au sujet de « vieilles pierres », ce serait faire injure aux centaines de personnes qui meurent quotidiennement et à celles, bien plus nombreuses, qui sont blessées, emprisonnées ou chassées de leurs maisons sans compter les disparus ou les réfugiés qui végètent en Jordanie ou en Syrie. S’indigner à propos de ces déprédations peut effectivement paraître déplacé vis-à-vis d’un pays sous occupation étrangère et ensanglanté par la guerre civile.

Pourtant, c’est de notre histoire à tous qu’il s’agit. Ces cités éventrées, ces tombes millénaires détruites, ces restes de vieilles civilisations que des entrepreneurs locaux accaparent pour les transformer en matériaux de construction, tout cela nous appartient. C’est un legs dont toute l’humanité est propriétaire car il concerne son histoire et le fondement même de sa naissance. On l’oublie, mais l’Irak est le berceau du monde actuel et les outrages que lui font subir les pillards sont autant de coups de poignard dans la chair des hommes.

C’est en Mésopotamie qu’est née la civilisation urbaine et que se sont développées l’agriculture et l’irrigation. C’est là aussi, qu’est apparue l’écriture cunéiforme dont les caractères gravés sur des tablettes sont présents dans toute la région. Même la ville biblique d’Ur, celle où, affirme la tradition, aurait vécu Abraham, n’échappe pas aux vandales qui, larcin après larcin, effacent notre mémoire au profit de quelques collectionneurs privés qui, de New York à Tokyo, en passant par Londres, Paris, Dubaï ou Doha, profitent du chaos irakien pour amasser un butin inestimable.

Mon émotion n’est pas feinte. Il s’agit d’un patrimoine universel auquel nous sommes reliés par des fils invisibles qui relèvent de l’insondable. L’idée que cette richesse archéologique, encore peu exploitée sur le plan scientifique, puisse disparaître, devrait nous être insupportable car avec ces vols et destructions, l’humanité ne perd pas simplement la possibilité de pouvoir un jour mieux connaître et expliquer ses origines. Elle voit aussi se briser le lien physique mais aussi spirituel qui la relie à ses ancêtres et c’est là une perte incalculable.

Quels enseignements peut-on tirer de cette mise à sac qui ne semble guère affoler l’Onu ou l’Unesco ? La première constatation, évidente, c’est qu’elle traduit bien la paupérisation de la société irakienne. Parmi les pillards, on trouve d’anciens ouvriers qui travaillaient pour les fouilles archéologiques avant la chute du régime de Saddam Hussein. Sans emploi ni salaire, ces hommes, parmi lesquels on trouve aussi des archéologues au chômage, n’ont plus aucun scrupule à mettre leur expertise au service des trafiquants.

De plus, et c’est la seconde constatation, ce pillage général est tout sauf un mouvement désordonné ou « artisanal ». Comme ce fut le cas avec le sac du musée de Baghdad en 2003, ce phénomène est surtout le fait de bandes structurées qui opèrent à la faveur du désordre et de l’insécurité. Ainsi que le rapporte Robert Fisk, les douaniers et policiers irakiens qui tentent de s’opposer à ce trafic le paient souvent de leur vie ce qui montre bien la puissance des pilleurs.

Il y a autre chose qui m’interpelle dans ce scandale. L’article de Fisk a été très commenté sur internet. A l’opposé des indignations légitimes, j’ai relevé plusieurs « posts » accusant les « Arabes », et dans le cas présent les Irakiens, d’être incapables de respecter leur patrimoine culturel et archéologique. Ce fut déjà le cas en 2003 quand de nombreux commentateurs occidentaux préféraient insister sur l’avidité des « Ali Baba » plutôt que de s’interroger à propos de l’étrange passivité des troupes américaines, obnubilées, on s’en souvient, par la seule défense du ministère irakien du Pétrole.

Car il faut bien évoquer la responsabilité américaine. Comme pour les autres manifestations du drame irakien, elle est énorme. En tant que force d’occupation, et malgré leur refus de signer la Convention de la Haye, qui, depuis 1954, protège les biens culturels en cas de conflit armé, les Etats-Unis sont les premiers coupables de ce désastre. Et l’on est en droit de se demander si ce saccage est la conséquence de la désinvolture des autorités d’occupation, de leur incompétence ou, rien n’est à exclure, de leur collusion avec les réseaux de trafiquants de pièces sumériennes.

Cette dernière hypothèse n’est pas absurde. Les armées ont presque toujours pillé les richesses culturelles des pays qu’elles envahissaient. Ce fut le cas des troupes de Bonaparte en Italie dont les rapines furent justifiées par l’égyptologue Vivant Denon pour qui il ne s’agissait pas de vols mais d’actes « généreux » destinés à protéger des oeuvres que seuls les musées de France étaient dignes d’accueillir… En cela, c’était déjà un crime mais, en Irak, c’est pire : l’occupant américain laisse faire les mafias quand il ne se fait pas lui-même complice ou acteur de la razzia. Le thème est là, il ne reste plus qu’à écrire le scénario : à quand une saga hollywoodienne à propos d’un trésor déterré par des marines dans les ruines de Babylone, le tout sous fond de combat avec des djihadistes, des Iraniens et d’anciens soldats de la Garde républicaine ?

(*)

[1] It is the death of history, The Independent, 17 septembre 2007

Voir en ligne : in le quotidien d’Oran

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9 MESSAGES

Forum

  • L’Irak et le pillage de l’Histoire
    le mardi 4 mai 2010 à 18:33, Alex a dit :

    Je me permets de donner les liens vers deux articles complémentaires :

    Vandalisme et pillage en Irak, berceau de la civilisation par Joëlle Pénochet (+ vidéo et dossier) http://www.internationalnews.fr/categorie-10183255.html

    et : De Babylone à "Camp Babylone" par Joëlle Pénochet : http://www.internationalnews.fr/article-12826532.html

  • L’Irak et le pillage de l’Histoire
    le mardi 9 octobre 2007 à 17:31, Madras a dit :
    Je suis également peiné par ce pillage mais l’agriculture et l’irrigation existait en Egypte bien avant la Mésopotamie de plus vous parler de l’invention de l’écriture dans cette région mais vous oublié encore une fois l’Egypte, qui est le plus avancé un peuple qui "écrit" sur des pierres taillées de plusieurs tonnes ou un autre qui "écrit" sur de simples tablettes d’argile ? Et ce à la même époque.
    • L’Irak et le pillage de l’Histoire
      le lundi 12 novembre 2007 à 18:24, amaeta a dit :

      Cher Madras,

      On regarde toujours le passé avec les yeux du présent. Et le plus souvent, on le considère avec son cœur. Personne n’oublie l’égypte, personne n’en mésestime l’importance. L’écriture a été inventée (inventer = découvrir) à plusieurs reprises, par différentes cultures à différents moments de notre histoire commune. A l’heure actuelle (novembre 2007), et malgré de récentes découvertes n’impliquant ni l’Egypte ni Sumer, les plus anciens et nombreux documents mis au jour par les archéologues ont été trouvés entre le Tigre et l’Euphrate. Par ailleurs, de picto-ideo-analogo graphique au départ, le système d’écriture dont ils témoignent a bientôt évolué vers un système idéo-phonétique où la figuration n’aurait finalement plus de place (sinon à titre de traces) : évolution que n’ont pas connu les hiéroglyphes, dont les plus anciens retrouvés sont de quelques centaines d’années plus jeunes que les cunéiformes, évolution qui conduira aux systèmes trilitères, syllabiques et jusqu’aux alphabets. Quant à l’argument de poids concluant ta remarque, je doute qu’il soit pertinent : de simples tablettes d’argile sont même plus simples que de simples feuilles de papier, que de simples suites de 0 et de 1 électroniquement codées, et pourtant : crois-tu que nous aurions-pu avoir ce débat s’il avait fallu le graver sur "des pierres taillées de plusieurs tonnes" ?

  • L’Irak et le pillage de l’Histoire
    le mercredi 3 octobre 2007 à 09:40, JRCW a dit :
    Le meilleur article que j’ai lu depuis fort longtemps.
  • L’Irak et le pillage de l’Histoire
    le lundi 1er octobre 2007 à 22:47, Zenobie a dit :
    Les américains sont un peuple "sans histoire", c’est-à-dire qui n’a pas de recul historique. Deux cents ans d’existence, ce n’est rien au regard de l’histoire de l’humanité. En colonisant les terres qu’ils occupent aujourd’hui, ils ont détruit les autochtones et leur ont confisqué leurs lieux sacrés. Ce n’est que très récemment qu’il a été question de rendre aux indiens les "collines noires" dont la symbolique est très forte. Alors, demander à un tel peuple de respecter les fondements de notre civilisation, là non, c’est trop. Le pillage du musée de Baghdad, en 2003, a été en partie le fait de pillards imbéciles mais des oeuvres d’art de toute première importance sont sorties par des portes dérobées, bien emballées et en excellent état, prêtes à être livrées aux collectionneurs qui avaient "passé commande". Quoi d’étonnant finalement dans les événements actuels de la part d’un peuple qui a toujours le nom de Dieu à la bouche et le met à toutes les sauces mais qui passe aussi son temps à se vautrer dans le matérialisme le plus effréné et a perdu toute notion de sacré, à commencer par celle de la vie humaine (cf. Guantanamo) ? De ce point de vue, il y a bien un "clash des civilisations", entre un peuple américain imbu de lui-même, ignorant et destructeur du patrimoine de l’humanité et des peuples arabes imprégnés d’histoire et dont une partie des réactions actuelles se fonde sur l’inconscient collectif façonné par des millénaires de civilisation. Que faire ?
    • L’Irak et le pillage de l’Histoire
      le mardi 2 octobre 2007 à 23:10, Carotte a dit :
      Pour ma part, ce "détail" de la guerre en Irak n’est qu’un élément de la folie humaine. Vous le dites vous même, il y a eu Napoléon mais il y eu aussi les césars, des rois de France, Goering et bien d’autres. Faire des "Américains" des méchants spéciaux me semble bien politique. Voir dans les américains des barbares pains, incultes et violents me fait doucement rire, c’est le pays où tous les miséreux en quête de liberté et de pain veulent aller, je ne parle pas des européens occidentaux vautrées dans leur privilèges suçant les dernières gouttes de l’épargne de leurs aieux. Il faut être plus lucide, les USA représente le pays qui domine le monde par sa culture, sa philosophie et son armée donc comme disait Brennus : vae victis.
  • L’Irak et le pillage de l’Histoire
    le lundi 1er octobre 2007 à 21:07, spirou69007 a dit :
    Monsieur belkaid, je vous remercie pour votre article. Il défend l’histoire (notre mémoire mondiale) et ne néglige pas la douleur humaine. Il est bien malheureux que le baril de pétrole (c’est une image) écrase des milliers d’années de culture. Affligeant monde en effet, celui qui propose une tablette d’argile au trait cunéiforme contre une bonne liasse de billets. Et oui, certains jubilent de posséder une part d’humanité, dont ils se soucient très peu, si ce n’est pour briller en (leur) société, se remémorant le prix d’achat. Mais que peut faire un petit bonhomme ordinaire, alors que les instances internationales ne bougent pas, pour empêcher de telles malversations ? jcm PS : Denon ne volait pas pour de l’argent. Il était homme de son siècle (celui des lumières) avec ses grâces et ses erreurs.
    • L’Irak et le pillage de l’Histoire
      le dimanche 7 octobre 2007 à 09:35, adler a dit :
      On n’entend pas les proguerre comme kouchner et cie dennoncer ou s’affliger sur ces pillages qui concerne l’humanité.prochain pillage va etre organisé en iran avec l’avale des grand humanistes universalistes a leur tete kouchner le grand french docteur trés connu pour son faux rapport sur la junte birman payé par total .
      • L’Irak et le pillage de l’Histoire
        le jeudi 5 mars 2009 à 13:44, vilain a dit :
        surtout qu’on sait que certaines vestiges auraient pu remettre en cause la veritable histoire des israeliens et aurait permis d’elaborer une veritable souverainete du peuple palestinien.
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