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Jardiner pour ne plus souffrir

30 janvier 2009 à 21h29
Anne Ribes se définit comme une infirmière-jardiniste. Elle anime depuis 1997 un potager-fleurs au sein du service de pédopsychiatrie de l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière et s’occupe notamment d’enfants autistes.
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Quels sont les bénéfices du jardinage pour un enfant ?

Jardiner avec des enfants s’apparente à une éducation philosophique sous différentes formes. Grâce aux saisons, j’arrive petit à petit à resituer les enfants que j’accompagne dans le cycle de la vie, la naissance, la mort. Cela me permet d’aborder une grande diversité de sujets. J’explique aux enfants que si je n’arrose pas la plante, elle meurt ou si j’écrase un insecte, il m’est impossible de le faire revivre. Cela leur fait prendre conscience que chaque geste compte. Je leur explique que leur geste sera important en tant que petit citoyen, cela me permet de les responsabiliser. Il est très facile de les mobiliser, de leur faire comprendre l’importance de certains enjeux.

Le jardin a donc également un rôle citoyen. Pour qu’ils soient plus facilement sensibilisés, il faut que les enfants connaissent mieux la nature. S’ils n’ont pas ressenti la sensation de l’importance d’une fleur, de la beauté d’un escargot, ils ne pouront pas les défendre. Or, malheureusement, les enfants ne sont plus aussi proches de la nature qu’auparavant. Aujourd’hui, ce qu’ils savent de la nature, ils le connaissent surtout par la télé. Nous en sommes arrivés à une aberration où les humains sont complètement déconnectés des éléments vitaux.

Je travaille avec une grande section de maternelle à Colombes avec lesquels j’envisage le jardin pour apprendre le monde. Ils ont un émerveillement époustouflant, ils se sentent bien, s’assoient au soleil. Sentir le bien-être, tout en sachant qu’on est interdépendant de ce tout génère des moments importants. Les enfants garderont toute leur vie cette sensation de bien-être. Enormément de choses passent.

Comment avez-vous conçu votre potager-fleurs de la Pitié-Salpétrière ?

J’ai insisté sur une chose : il fallait que ce soit beau. Il fallait en faire un vrai lieu clos où l’on entre, un endroit agréable, et non un passage en plein courant d’air. La disposition du jardin est importante, il doit être ensoleillé, on doit avoir de l’enthousiasme à y aller. J’y ai également installé un point de recyclage et de compost. Le processus de décomposition est très intéressant pour les enfants lorsqu’ils découvrent les insectes, le terreau, et commencent à poser des questions.

Le choix des végétaux est également important. Il faut qu’ils se mangent, qu’ils ne soient pas trop hauts pour être au niveau des enfants et surtout, ils doivent pousser vite, pour que cela soit gratifiant.

Il faut qu’il y ait également le plaisir des yeux avec le plaisir de goûter. Je montre aux enfants l’évolution du jardin sur une année. Il y a le fruit, et des graines que l’on va replanter. Je leur explique que le jardin nourrit, procure du bien-être.

Comment les enfants répondent-ils à ces ateliers jardinage ?

L’enfant est sensible au fait qu’un élément ait poussé. C’est une chose qu’on ne lui apprend pas. C’est par là que j’arrive à toucher ceux qui sont en difficulté, à entrer en communication avec eux. Ils auront moins d’appréhension à approcher une fleur, qui est statique, qui ne répondra pas à un coup de pied, plutôt qu’un animal, trop imprévisible.

Nous oublions facilement, nous sommes très blasés. Mais pour les autistes, le jardinage fait entrer du fantastique dans leur vie : le soleil qui chauffe, l’eau qui arrose, qui lave. Il faut qu’ils aient envie. J’attends toujours un peu de voir à quoi ils vont réagir, ce qu’ils ont envie de faire. J’essaye de leur faire comprendre l’importance de leurs sensations, les leur faire vivre, les leur faire partager.

Quel message essayez-vous de faire passer ?

Il y a beaucoup de travail à faire dans l’éducation scolaire, il faut former les professeurs au jardinage.

Je me bats surtout pour que les jardins soient des lieux de vie. Chaque personne devrait vivre avec un jardin. Le jardin ne doit pas être envisagé comme une récompense, il ne se monnaye pas, il est essentiel au développement des enfants.

Toucher la terre : jardiner avec ceux qui souffrent, Anne Ribes, Médicis, 2005.

P.-S.

Interview réalisée en mars 2008.
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