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Iran, le jour d’après

Perse et Polis / mardi 5 janvier 2010 par Sahand Saber
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Les manifestations qui ont secoué l’Iran ont révélé combien la colère a gagné toutes les couches sociales de la société iranienne.

Il y aura désormais un avant et un après Ashura. La révolte qui ébranle l’Iran depuis l’élection controversée du 12 juin 2009 ayant reconduit Mahmoud Ahmadinejad pour un second mandat à la Présidence de la République Islamique, a connu le 29 décembre un tournant décisif dans le processus qui entend aujourd’hui mener la contestation vers le renversement du régime de la République Islamique.

A l’occasion des fêtes religieuses de l’Ashura qui célèbrent la mort de l’Imam Hussein, les Iraniens sont descendus en masse dans les rues du pays pour exprimer une nouvelle fois leur colère à l’encontre des dirigeants de la République Islamique et particulièrement à l’encontre du Guide Suprême Ali Khamenei.

Les manifestations de l’Ashura ont révélé la profondeur du mouvement de contestation qui ne se limite désormais plus aux étudiants. Nombre d’activistes, dont Afshin, étudiant en sociologie, avaient exprimé leurs incertitudes lors de la Journée de l’étudiant le 7 décembre dernier face à un Mouvement aux allures qu’ils jugeait excessivement estudiantines : « Le malaise est profond dans le pays et tout le monde est touché par ce qu’il se passe mais malheureusement, il semble que la colère ne soit plus désormais exprimée que par les étudiants. Il ne faudrait pas que les étudiants soient seuls à manifester. C’est vrai, les jeunes de notre génération sont très nombreux mais les problèmes du pays concernent tout le monde, pas seulement les jeunes et les étudiants ».

L’Ashura aura certainement dissipé les craintes d’Afshin. Les manifestations qui ont secoué l’Iran ont révélé combien la colère avait gagné toutes les couches sociales de la société iranienne, toutes les régions, les grandes villes comme les campagnes plus traditionnelles. Si ce Mouvement a été impulsé par la jeunesse iranienne en mal de liberté, il a su intégrer une population entière qui fait désormais fi de tout ce qui pourrait cultiver divisions et désaccords en son sein.

Ces divisions qui, dans l’Histoire moderne, ont longtemps constitué le handicap principal du peuple iranien, proviennent de cette idée très présente dans la psychologie orientale de l’existence d’une conspiration étrangère vouée à empêcher les peuples de jouir de leur souveraineté.

C’est sur cette idée de conspiration que les mouvements politiques iraniens de gauche, d’extrême gauche et islamistes s’étaient fondés en 1979 pour lutter contre le régime du Shah. C’est l’hostilité savamment nourrie à l’encontre des puissances étrangères et le refus d’être un membre contributeur de la communauté internationale qui fit converger les Révolutionnaires de 1979 vers le même objectif. Les Révolutionnaires se disaient alors capables de vivre en autarcie ou, dans un langage des plus romantiques traditionnellement usitée par les dictatures qui n’ont jamais atteint le moindre de leurs objectifs idéologiques, « au-dessus des autres ».

Convaincue certes que l’intervention des puissances étrangères dans les affaires internes de son pays sont la raison principale des bouleversements politiques qu’il connaît depuis plusieurs décennies, la jeunesse iranienne se définit aujourd’hui, dans sa conscience même, en rupture absolue avec l’idée que « tout est entre les mains des occidentaux ».

Pour la première fois depuis trente ans, les Iraniens goutent au plaisir de l’unité, de la confiance en son prochain, du sentiment d’appartenir à une communauté de valeurs fondée sur la solidarité. Ils comprennent que leur destin peut être entre leurs propres mains, que leur revient à eux le devoir de se battre pour conquérir leurs droits sans qu’ils aient à attendre que d’autres consentent à les leur accorder.

A l’inverse des évènements de 1979, les Iraniens n’inscrivent plus leur lutte dans une idéologie de rejet et d’hostilité. Ils entendent participer activement dans le concert des Nations pour figurer au rang de celles des plus respectables. Cela seul peut expliquer comment, malgré l’absence d’un leader, la contestation de la rue ne s’est pas essoufflée. C’est aussi pourquoi seul un changement profond du modèle de société en phase avec les nouvelles revendications mettra un terme aux protestations.

A l’issue de cette journée de l’Ashura, nombre de pays se sont empressés de condamner les violences et la répression perpétrées par les forces de coercitions de la République Islamique.

A Honolulu, le Président américain Barack Obama a durci le ton face au régime en déclarant : « Les Etats-Unis se joignent à la communauté internationale pour condamner avec fermeté la violente et injuste répression de citoyens iraniens innocents » avant d’ajouter : « Nous appelons à la libération immédiate de ceux qui ont été injustement emprisonnés en Iran. […] La décision des dirigeants de l’Iran de gouverner par la peur et la tyrannie ne tiendra pas. […] Depuis des mois, le peuple iranien ne demande rien d’autre que d’exercer ses droits. À chaque fois, on leur a répondu avec brutalité, même lors de moments solennels et de jours saints. À chaque fois, le monde a regardé avec une grande admiration le courage et la détermination du peuple iranien ».

La présidence suédoise de l’UE s’est déclarée « inquiète des informations faisant état de répressions violentes des manifestations et des arrestations arbitraires à Téhéran et dans d’autres villes d’Iran au cours des récentes célébrations d’Achoura ». Dans son communiqué, elle déclare : « La liberté d’expression et le droit au rassemblement pacifique sont des droits de l’Homme universels qui doivent être respectés (…) La force brutale à leur encontre et les détentions arbitraires de manifestants constituent une grave violation de ces droits de l’Homme ».

Le ministère des affaires étrangères russe s’est dit inquiet et a appelé le gouvernement iranien à « faire preuve de retenue, chercher des compromis sur la base de la loi, faire des efforts politiques pour éviter une poursuite de l’escalade dans la confrontation intérieure ».

La retenue est le terme également employée par le ministre britannique des Affaires étrangères considérant « particulièrement troublant » le « manque de retenue » des forces de l’ordre alors même que le pays célèbre l’Ashura. Il a ainsi appelé le gouvernement iranien «  à respecter les droits de l’homme de ses propres citoyens, des droits que l’Iran s’est engagés à respecter ».

La France est restée quant à elle fidèle à ses positions en déclarant, à travers un communiqué du ministère des Affaires étrangère, condamner « les arrestations arbitraires et les violences commises contre de simples manifestants, venus défendre leur droit à la liberté d’expression et leur aspiration à la démocratie ». « Face à la persistance des mouvements populaires et à l’aggravation de la répression ». La France appelle désormais « à une solution politique en Iran ».

Le Canada a appelé « une nouvelle fois l’Iran à se conformer à ses obligations en matière de respect des Droits de l’Homme » et l’Italie, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Franco Frattini, a indiqué que « la stabilité présuppose et se construit à travers un dialogue ouvert, civil et démocratique avec la société, avec cette dernière et non contre elle », et a appelé à « rechercher une solution politique à la crise intérieure ».

Enfin, la chancelière allemande Angela Merkel a jugé « inacceptable » l’intervention des forces de sécurité iraniennes contre les manifestants et a rappelé les obligations de l’Iran liées au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU qu’il a signé et ratifié. Elle également a appelé les dirigeants iraniens à user du dialogue pour « chercher une solution pacifique aux querelles politiques internes ».

Il peut paraître surprenant de voir les Etats occidentaux appeler désormais, et de façon aussi unanime, au respect des Droits de l’Homme. L’urgence des enjeux internationaux, notamment l’instabilité en l’Irak, en Afghanistan et au Liban, oblige en effet les Occidentaux à adopter une position contraignante à l’égard du régime iranien. Un pays tel que l’Iran, du fait de sa puissance et de son influence au Moyen-Orient, ne peut en effet se permettre de se laisser gagner par une situation qu’il ne saurait contrôler.

Dans le même temps, la durée et généralisation du mouvement de contestation commencent à convaincre de l’imminence d’un changement politique majeur pour les mois à venir. La fermeté de ces déclarations à l’encontre de la répression adopte néanmoins des contours permettant d’entrevoir une approche conciliante tant celles-ci insistent sur l’amorce d’une solution politique via un dialogue entre les représentants du régime et ceux de l’opposition.

Cette carte du dialogue jusqu’alors jamais été jouée. Elle apparaît comme la dernière solution que peut proposer l’Occident sans qu’elle n’ingère dans les affaires intérieures du pays.

Les évènements que traverse l’Iran et le programme nucléaire qu’il persiste à maintenir secret posent naturellement la question de la nature des sanctions qui, à défaut d’une réponse iranienne favorable aux propositions du Conseil de Sécurité, devront être prochainement prises par celui-ci.

Les discussions et tractations avaient évoqué la possibilité d’un embargo sur l’essence. Malgré sa qualité d’exportateur de pétrole, la République Islamique est en effet contrainte d’importer près de 40% de son essence faute d’avoir entretenu et développé ses raffineries de pétrole. Une telle mesure plongerait nécessairement le pays dans une pénurie énergétique et se révèlerait assurément fatale pour le régime qui subirait alors en conséquence une vindicte populaire des plus agressive. La population iranienne serait alors en d’autres termes la première victime d’une telle mesure.

Toujours est-il que l’équation reste difficile à résoudre : refuser d’imposer à la République Islamique un embargo sur l’essence en raison des effets qui pourraient atteindre la population reviendrait à offrir à ce même régime, qui manifeste publiquement depuis plusieurs mois son mépris du peuple, la possibilité de se réfugier derrière les impératifs de ce dernier pour s’éviter des sanctions aussi lourdes. L’embargo sur l’essence ferait assurément du peuple le bouclier du régime alors même que tout gouvernement a l’obligation de rendre des comptes à son peuple. En d’autres termes, si le Conseil de Sécurité votait l’embargo sur l’exportation d’essence vers l’Iran, c’est au régime que reviendrait l’obligation d’assumer les conséquences sociales et économiques d’une telle mesure sans bien évidemment l’imputer aux puissances étrangères. Tout bon observateur un tant soit peu lucide sait qu’une telle conduite ne saurait émaner des dignitaires du régime islamique.

En somme, la politique iranienne du Président Obama a finalement montré que sa stratégie reste dans la durée la meilleure. Cette stratégie pourrait se résumer ainsi : « offrir le maximum au régime iranien pour montrer au monde que celui-ci refusera toujours toute main tendue, cela ouvrira alors à des sanctions justifiées ». Un embargo sur l’exportation d’essence donnerait à l’inverse au régime l’occasion d’imputer aux puissances étrangères le trouble politique en Iran.

Comme l’a souligné la Chancelière allemande Angela Merkel, l’Iran est signataire du Pacte internationale relatif aux droits civils et politiques. Ce texte basé sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et ratifié par le Parlement iranien en 1975 constituerait l’un des engagements internationaux sur lequel le Conseil de Sécurité, en cas de vote de nouvelles sanctions, pourrait fonder ses nouvelles sanctions. Si la solidarité internationale souhaite prendre forme par des mesures concrètes provenant de la communauté des Nations, elle devra alors demander à la République Islamique non plus le respect du seul Traité de Non-Prolifération mais le respect de l’ensemble des engagements internationaux de l’Iran.

Plus encore, le gouvernement américain pourrait lever l’interdiction faite à la chaine télévisée Voice of America, dont les programmes sont régulièrement suivis par les Iraniens, d’inviter certaines personnalités politiques iraniennes de premier rang en raison de la politique de « main tendue » initiée par Barack Obama dès son investiture à la Présidence des Etats-Unis, ainsi que pourrait le faire les responsables de la chaine britannique BBC en langue persane en invitant ces dites personnalités dans des émissions traitant de l’actualité du pays.

Sahand Saber est avocat.
Voir en ligne : Le blog de Sahand Saber

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3 MESSAGES

Forum

  • Iran, le jour d’après
    le mardi 5 janvier 2010 à 16:56, miluz a dit :
    Quelle hypocrisie. Les occidentaux ont des leçons de démocratie à donner en ce moment ? Toutes nos revendications et nos manifestations sont réprimées. Nos droits sont bafoués. Nos tribunaux et nos prisons dégorgent. On voit des flics, des CRS partout, on est surveillés, fichés, on a pas le droit de pêter. Mis à part le degré de violence dans la répression, j’ai du mal à voir la différence. Vraiment, on croit rêver.
  • Iran, le surlendemain.
    le mardi 5 janvier 2010 à 15:16, SkaHd a dit :

    Trés bel article plein d’opinions non référencées. Qu’apprends-je en lisant si ce n’est que quelqu’un pense effectivement comme l’auteur- soit, c’est anthropologiquement intéressant mais pour ce qui est de l’information… devrais je continuer de venir boire à cette source ? Être avocat est une chance - parcequ’on peut palper et qu’on fait un métier socialement reconnu, pourquoi pas intéressant- néanmoins ça ne qualifie pas pour faire ce qu’on veut. Ce qu’on veut comme par exemple venir agrémenter les colonnes virtuelles déjà trés étriquées de notre cher hebdomadaire satiristique, d’une chronique pravdaesque, fatwaesque oserais-je. Quand le mouton adopte le ton de loup de ce mouton qu’il prend pour un loup. Si la société iranienne doit se libéraliser ce n’est certainement pas en laissant ses détenteurs de capitaux, ses prétendant dominateurs culturels de téhéran "renverser" comme une tarte 30 ans de construction nationale. 30 ans de lutte sanglante et fratricide, certes, mais pas vaines. 30 ans à attendre qu’une main respectueuse se tende à la place de cette main blanche et poilue qui donnait jusqu’alors des claques condescendantes quand on remerciait pas. Aujourd’hui contrairement à l’écrasante majorité des pays, l’Iran voit sa souveraineté -puisque c’est de cela dont il est question- rognée, convoitée, bousculée -vous me direz, réalistes, "n’est-ce pas la règle ?"- mais et, c’est là qu’il se démarque, pour la première fois respectée. Non seulement respectée par des critiques étouffées qui n’osent plus prendre leurs grands airs de videur de club moscovite, mais également appuyée par des alliés discrets mais prometteurs dans un monde, dont les deux dernières années n’ont cessé de nous montrer qu’il bougeait à grands pas. En tant qu’humble descendant d’Abram, de Clovis et de Robespierre je félicite chaleureusement le peuple iranien d’avoir su mener la première révolution proprement populaire de l’époque moderne, je le félicite avec d’autant plus de joie que je sais, par conviction, que dans la grande roue de la dialectique historique, son choix, populaire, rigoureux, anticolonialiste, quoi qu’il en ait couté, était le meilleur. Bientôt les souffrances, les frustrations, les privations de liberté que vous a fait subir ( à vous mes interlocuteurs cultivés acculturés du pays de l’imam)l’opinion majoritaire conservatrice des ayatollahs chaque fois qu’on la consultait par les urnes ; ces soumissions en priorité symboliques - plus injustes encore que les matérielles, auxquelles les étudiants et les couches aisées, marchandes, professions libérales, "occidentalisées" de votre population se sont résignées, sont une preuve de votre endurance et vous seront rendues à condition que vous acceptiez de continuer votre marche vers une nation saine et ce, de concert avec les électeurs de l’autre bord. Si libéralisation il doit y avoir elle ne se fera pas en démettant un gouvernement démocratiquement élu (quand bien même des irrégularités auraient été à déplorer ; n’y a t il pas d’irrégularités en Floride, cela n’empêche, à défaut de fonds, la cour constitutionnelle interrompt son enquête et l’élection reste valide, merci les machines à voter électroniques DieBold). Il ne résulte de ce genre d’événements que guerre civile et soumission des faibles majoritaires. Si révolution verte il doit y avoir, c’est par les urnes et les enveloppes budgétaires. Le meilleur moyen de lutter contre les manifestations de violence intégristes dans les sociétés est de s’assurer qu’on remplisse bien un des impératifs naturels de ces sociétés, à savoir nourrir, protéger et former chacun de ses membres.

    BREF VOTRE MAYONNAISE PERSANE NE ME PRENDRA PAS, MOI L’ADEPTE DE L’AUTOFLAGELLATION VERTUEUSE.

  • Iran, le jour d’après
    le mardi 5 janvier 2010 à 06:37, Phil2922 a dit :
    Il apparaît en effet que les classes défavorisées rejoignent les étudiants dans les rassemblements même s’il est difficile d’avoir un maximum d’infos dans la mesure où le pouvoir iranien censure la presse. L’anniversaire de la révolution islamique a lieu le 11 février et pourrait donner lieu à de gigantesques manifestations. Cette situation interne pré-révolutionnaire donne du grain à moudre au pouvoir religieux qui accélérerait son offensive externe de menace nucléaire qui pourrait mettre tout le monde dans l’embarras… !!
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