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Immigration choisie, expulsion subite

France-Maroc / vendredi 5 mai 2006 par Souleymane Al-Arabi
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Musicien, Marocain, intégré, Saïd n’avait pas le bon profil. Il a été expulsé. Une histoire qui risque de se répéter.

Il faut une trentaine de minutes pour aller chez Saïd Aguili depuis la gare. Le musicien a emprunté un appartement à une amie, dans un petit lotissement d’immeubles achetés pour la plupart par des émigrés marocains qui passent leurs congés dans la triste de ville Kénitra (ouest du Maroc). Saïd, lui, n’est pas en vacances. La quarantaine déprimée, il fait partie de cette « immigration subie » dont Nicolas Sarkozy nous rebat les oreilles.

Ancien fonctionnaire à Fès, Saïd Aguili est arrivé légalement en France en 2000 pour reprendre des études à Paris. Avec, sans doute, le désir inavoué de refaire sa vie. S’étant installé à Montpellier avec sa femme - française, il mène la vie banale d’un Marocain en France. Immigré, il doit se contenter d’une série de récépissés temporaires en lieu et place d’une carte de séjour de dix ans à laquelle il a théoriquement droit en tant que conjoint de Français. Précaire, il multiplie les petits boulots sous payés - plongeur, agent d’entretien, aide cuisinier - pour le compte, notamment, d’une multinationale de l’hôtellerie. Musicien, surtout, il fonde une association culturelle et un groupe de musique arabo-andalouse, Simsim. « On travaillait dans les quartiers dits sensibles, raconte-t-il. Notre rôle c’était de montrer l’histoire, la culture, les arts, parce que la culture arabo-musulmane ce n’est pas simplement les versets du Coran et les paroles des grands parents ».

Centre de rétention de Sète, distribution gratuite de somnifère et de préservatifs, au cas où…

Ses activités culturelles et militantes lui valent une énorme reconnaissance et de solides amitiés à Montpellier. L’intégration, comme on dit… Sauf que son mariage a capoté. Sa femme le quitte et il s’installe avec sa nouvelle « famille » : Latifa et sa fille Inès, françaises, dont le mari et le père a disparu il y a quelques années. Sautant sur l’occasion d’un divorce annoncé, les autorités françaises refusent de renouveler son titre de séjour. Et comme l’administration aime les chiffres, il ne faut pas bien longtemps pour que le musicien marocain vienne remplir les quotas des « reconduites à la frontière » qui servent de tableaux de chasse électoraux . Le 31 janvier dernier, [1] trois policiers et une voiture banalisée cueillent le « clandestin » devant un studio d’enregistrement de Montpellier où Saïd mettait la dernière main à son nouvel album. Vous chantiez, M. Aguili ? Et bien… Direction : le centre de rétention de Sète.

Procès-verbaux pré-remplis, cellules enfumées jours et nuits, aliments à la limite des dates de péremption, Saïd Aguili découvre les joies de la rétention, sept jours durant, aux côtés des « clandestins » paumés qui errent dans les couloirs en attendant leur tour. Pour les faire patienter, on leur distribue généreusement de puissants somnifères et des préservatifs… au cas où. Tout est organisé pour que l’expulsion se fasse sans résistance et sans scandale. On interdira à Saïd de récupérer son oud, pour qu’il ne se pende pas avec les cordes.

La musique et la culture se monnaient mal sur le marché de « l’immigration choisie »

Mais Saïd est un peu trop connu pour que son expulsion passe inaperçue. La mobilisation est menée tambours battants par sa compagne et ses amis musiciens, et les manifestations se multiplient devant le centre de rétention de Sète. Les médias et les politiques locaux s’en mêlent. Si bien que même le député UMP du coin, Jacques Domergue, en oublie passagèrement sa sarkoïte aiguë et se fend d’une lettre attristée au préfet… Mais rien n’y fait. Le 7 février, le juge administratif laisse tomber sa sentence devant une salle comble et stupéfaite. Saïd Aguili est renvoyé fissa au Maroc par le premier bateau.

Musicien apprécié, militant dévoué, « père de cœur » - comme il dit - d’une petite française qui a perdu le sien, Saïd n’entre pas dans les critères. La musique, la culture et l’amour se monnayent assez mal sur le marché de « l’immigration choisie ». A se demander même si le profil presque trop attachant de Saïd, le côté « veuve et orphelin » de sa mésaventure et la mobilisation massive qui l’a accompagné n’ont pas, paradoxalement, joué en sa défaveur. Perversité d’une politique où l’immigré « inutile » devient d’autant plus suspect qu’il est « trop » dévoué, « trop » désintéressé, « trop intégré ». Le mariage raté de Saïd a beaucoup pesé dans la décision du juge, expliquent ses proches, un doute tenace s’étant répandu sur l’ensemble des relations qu’il a nouées en France [2]. « On touche à l’absurdité totale du système, explique-t-on à la Cimade de Montpellier. S’il y a bien quelqu’un qu’il fallait garder ici, d’un point de vue de l’intégration culturelle, de l’insertion économique, c’était bien Saïd ! ». Ainsi va la cadence binaire de l’immigration « choisie - subie » de M. Sarkozy.

Après six ans d’absence, Saïd peine visiblement à s’adapter à sa nouvelle vie au Maroc. Comme pour se convaincre lui-même qu’il n’est que de passage, il a déposé ses bagages dans un coin de sa chambre, sans les ouvrir. A deux pas de la célèbre prison politique de Kénitra - emblème du règne musclé de feu Hassan II, son appartement anonyme a bizarrement un petit air carcéral. Son matelas, sa cafetière et son téléviseur déréglé comblent mal le vide. « Je préfèrerais rester en prison en France, à côté de ma famille, que venir ici, explique-t-il. Je n’ai rien à faire ici. » En attendant chaque mois la visite de sa compagne, il tue le temps à chatter au cyber-café avec son comité de soutien [3]. « Mon âme, elle est toujours en France, même si mon corps est ici. Mon âme, elle est avec ma famille, avec mes amis. C’est une sorte d’exil, c’est tout. » La France, aimez-la ou quittez-la.

[1] Des quotas d’autant plus difficiles à remplir dans les régions limitrophes de l’Espagne que ce pays vient de procéder à la régularisation de 800.000 sans papiers en 2005. Une démarche qui « crée un appel d’air (…) préjudiciable pour les Etats limitrophes », explique-t-on au ministère de l’intérieur français (« L’Express », 16 mai 2005)…

[2] Les étrangers, c’est bien connu, doivent s’entendre avec leurs conjoints, contrairement aux Français qui, eux, divorcent allègrement après deux ou trois ans de mariage

[3] http://saidrevient.free.fr


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