Il faut battre Lefebvre tant qu’il est chaud !

Incroyable phrase distillée par la Mèche Pensante de l’UMP, l’inénarrable Frédéric Lefebvre, ci-devant député de raccroc puisque jamais élu, et désormais voix de son Maître à plein temps, ce qui m’autorise à l’appeler pitbull – il est plus grand qu’un basset et a les dents plus longues. La phrase ? « Les coupables sont toujours parmi les prévenus ». Qu’on ne l’entende jamais flétrir le stalinisme ! Cela ressemble à s’y méprendre à une citation du Petit Père des Peuples : si Joseph ne l’a pas dit, il aurait pu le dire, et s’il n’a pas pu le dire, c’est uniquement qu’il ignorait, le Pépère, le mot et la notion de « prévenu ».

Le « prévenu » est en effet un produit de l’Etat de droit, de la démocratie, de la justice à la mode républicaine, appelez cela comme vous le voudrez, et c’est la situation d’un individu qui comparaît devant une cour de justice dont la fonction est, justement, de dire s’il est coupable ou non. Qu’un président un peu fatigué de promener le poids de sa fatuité en limo dans les rues de la Grosse Pomme puisse oublier cela dans son interview devant deux carpes, c’est déjà costaud. Mais que, pour assurer sa défense avec la solidarité des compagnons de gadoue, un « communicateur » en fasse ses choux gras, pardon, ce n’est plus l’escalade, c’est l’Ascension.

POUR QUI LE SONOTONE ?

Examinez la beauté de ces quelques mots : l’assertion est tellement énorme que le petit lutin de votre vigilance intellectuelle aura, inconsciemment, corrigé. Vous avez cru entendre : « Les coupables sont toujours prévenus », on ne sait pas par qui, mais un homme averti en valant deux, cela explique que l’on voit couramment deux accusés pour un seul crime. Ou alors : « Les prévenus sont toujours des coupables », ce qui est déjà beaucoup plus raide, et n’est vrai que dans divers tribunaux spécialisés dans la dictature, la chariah ou la regrettée Inquisition, bref, des gens qui communiquent avec le divin ou obéissent aux ordres radicaux de l’homme providentiel qui, sur terre, en singent les prérogatives en se faisant bombarder empereur, président à vie ou je ne sais quoi de brindzingue. Je comprends que vous ayez été prudents : tout le monde n’a pas survécu à Bokassa, Pol Pot ou Khomeiny.

Mais c’est ENCORE pire : qu’on se le dise, non seulement les coupables ne sont pas toujours parmi les prévenus, mais même (et je pèse mes mots ), il arrive SOUVENT que des innocents soient parmi les prévenus. C’est même leur place, là, parmi les prévenus, jusqu’à ce qu’on ait constaté leur innocence. Et c’est pour ça qu’une civilisation démocratique comme la nôtre a fait une loi pour que soit protégée la présomption d’innocence. Non, monsieur Lefebvre, un prévenu n’est pas un coupable qui s’ignore ou un condamné en attente de sentence. Vous le savez. Nul n’est censé ignorer la loi. Il y a encore quelques mois, vous aviez même l’incroyable prétention de la faire. Honte sur vous de feindre de l’ignorer, en pensant que le bon peuple, celui qui joue au Loto et a encore moins lu que vous, ne verra pas la différence.

TOUCHE PAS A MON POTE ?

Moi, ce qui m’écoeure encore plus que cette vilenie, c’est le grand silence plat de tous les titilleurs de droits. De droits de l’homme, par exemple, qui englobent le droit tout court. Ben quoi, la présomption d’innocence, ça ne concerne pas les droits de l’homme ? Ah, désolé, vous avez d’autres fers au feu. Mais il y a aussi tous ceux qui ont cherché des poux à Siné, à Péan, à quiconque a dit le mot qu’il ne fallait pas à propos de ceux dont on ne doit pas dire qu’ils sont ceci ou cela, bref, les consciences juridiques et morales de notre société : museau, zéro stimulus, ils s’en tapent, les chevaliers blancs qui décortiquent la moindre phrase sur feu la colonisation, les préférences sexuelles, le respect du pape, la vénération du Prophète, que sais-je ? Eh bien non, le viol du principe de présomption d’innocence, ce n’est pas dans la loi Gayssot, alors, circulez, il n’y a rien à voir. Seuls les satiristes et les histrions et (fugitivement !) quelques sites de presse ont ramassé la crotte. Les autres, les purs des purs, doivent avoir à coeur de ménager Frédéric Lefebvre, on ne sait jamais… Après tout, pourquoi l’attaquer sur cette phrase, si on ne sourcille pas à celle du boss ? Fermons-là dans les deux cas, et guettons la prochaine bavure d’un plus modeste pécheur, journaliste, caricaturiste ou sociologue. Là, on bondira sur les ondes, on sautera vers les caméras, on fera le bazar habituel dans les prétoires. Laurent, serrez ma robe d’avocat avec ma ceinture de chasteté !

Ici, à Bakchich, on a bien compris que la bave du Frédo avait pour but de masquer la bavure de Sarkozy. Mais on préfère en parler. On fait ce qu’on peut. Désolé.

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