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Grosso modo, une interview

mercredi 7 février 2007 par Moussa Ka
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Se’Nkwe P. Modo n’a pas sa langue dans sa poche, ni sa plume d’ailleurs

Ancien leader étudiant au début des années 1990, vous êtes devenu journaliste. Qu’est-ce qui vous y a amené ? Quels espoirs portait la presse privée à cette époque ?

Il faut revenir au contexte de l’époque. On est en 1990, avec ce qu’on a appelé « le vent de l’Est », avec le discours de François Mitterrand à La Baule qui soumet l’aide au développement à l’ouverture démocratique… Les gens s’engouffrent dans la brèche. La contestation commence. Les étudiants créent un mouvement, les partis politiques naissent… À l’époque, les meetings des partis politiques drainent 10.000, 30.000 et jusqu’à 100.000 personnes.

C’est dans ce contexte-là que naît la presse camerounaise telle qu’on la connaît aujourd’hui. Avant ça, il y avait d’un côté Cameroon Tribune qui traitait de l’actualité institutionnelle et de l’autre côté quelques journaux – Le Messager, La Gazette, Le Combattant, parmi les quelques titres de l’époque – qui s’occupaient des chiens écrasés. Au début des années 1990, le régime a été obligé de laisser une partie de la population s’exprimer ouvertement. Il y a foisonnement de la presse camerounaise qui se fait le miroir du mouvement.

Au moment où le mouvement étudiant a été brisé, au lendemain d’un meeting réprimé dans le sang, les leaders étudiants se sont dispersés. Chacun de nous s’est trouvé une voie dans laquelle continuer le combat. La mienne, ça a été d’entrer dans un journal, Challenge Hebdo, qui avait déjà publié deux de mes articles. Pour moi, c’était du pain bénit : j’allais pouvoir transposer dans la presse le combat que je menais à l’université. Ce n’était pas du journalisme que je faisais, absolument pas. C’était de la revendication ! Mais, à cet égard, je ne dénotais pas, parce que toute la presse à l’époque était revendicatrice. Tout le monde disait : « Il faut que ça change », « Il faut que les choses avancent ! » On titrait : « Biya must go ! ». On mettait ça à la une à l’époque, ce qui serait un peu inattendu aujourd’hui.

Quinze ans plus tard, vous publiez un livre racontant votre parcours dans différents journaux de la presse privée camerounaise avec des portraits acides de vos patrons successifs. Est-ce l’expression d’une désillusion ? Est-ce que la presse privée, porteuse d’espoir, a failli à sa mission ?

Certainement. Mais pour être juste, je dois dire que cette désillusion, ce désenchantement, ne concerne pas que la presse. Elle s’étend à la société civile, aux partis politiques, aux ONG. C’est-à-dire que tout cet espoir qui a été suscité dans les années 1990, du moins en sa première moitié, n’a pas été comblé. Et étant donné que la presse, à un moment donné, portait cet espoir, elle y est nécessairement pour quelque chose. En ce qui me concerne, ayant été au cœur de cette presse, j’estime que la responsabilité des dirigeants de cette presse est grande dans la déception de ces espoirs.

Vous avez effectivement des mots assez durs pour vos patrons successifs que vous décrivez comme des dictateurs, des exploiteurs et même, pour reprendre un mot du journaliste de RFI Christophe Boisbouvier, comme des « négriers »… Que leur reprochez-vous, au fond ?

Depuis la parution de ce livre, on me dit que ce ne sont pas seulement les patrons de presse que je décris mais les patrons camerounais en général. Peut-être. Mais il y a une particularité avec les patrons de presse : ceux sont des donneurs de leçons. Contrairement à d’autres, ils savent parfaitement ce qu’il faut faire. La preuve : ils expliquent à longueur de pages, à longueur d’éditoriaux, pourquoi le pays va mal et ce qu’il faut changer. Mais ils font tout sauf ce qu’ils disent. Il y a des directeurs de publication qui, après avoir refusé 10.000 F à un journaliste qui veut faire un reportage, dépensent le soir même 60.000 F en whisky devant des employés qui n’en gagnent pas le double. Quand, après ça, on lit leurs éditoriaux qui expliquent combien la mauvaise gestion du pays est responsable du chaos dans lequel se trouve le Cameroun, on est endroit de s’interroger. Ces patrons participent, au même titre que ceux qu’ils dénoncent, à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Les directeurs de publication ne doivent pas être jugés uniquement sur leurs écrits…

À un moment du récit, vous constatez que les patrons de la presse privée camerounaise sont « réticents comme ils respirent » quand les journalistes veulent mener des enquêtes sociales. Comment expliquez-vous cette allergie alors même que la presse privée aurait théoriquement pour mission d’être le porte-voix des victimes du système ?

C’est assez simple : cette réticence s’explique par le fait que les enquêtes sociales ne rétribuent pas le journal. Le résultat d’une enquête sociale peut enrichir le lecteur, il peut édifier le lecteur, mais il n’y a pas de retombées financières immédiates pour le journal et, surtout, pour le directeur de publication. Aller enquêter sur les enfants de la rue ! Ils rapportent quoi les enfants de la rue ? Rien du tout ! Au contraire, ils coûtent cher : il faut aller les voir, se déplacer, se loger, se nourrir, s’occuper un peu d’eux parce qu’on voit leur détresse. Et qu’est-ce qu’on a en retour ? Un article. Ca sera peut-être intéressant pour le lecteur, mais le patron ne voit pas bien ce que ça lui rapporte. À l’inverse, faire l’interview d’un homme politique qui tient à se faire entendre, même si ce qu’il dit c’est du resucée, c’est plus « intéressant » : on s’assoit, on écoute et on a quelqu’un qui vous dit à la fin de l’entretien : « Voilà 300.000 F, pour votre carburant ». Résultat des courses : le journal est plein de papiers qui font la promotion de tel individu, de tel groupe, de telle institution.

Le problème ne se situe-t-il pas dans un certain embourgeoisement des patrons de la presse privée au cours de la décennie 1990 ? On a des journaux de plus en plus chics mais qui s’intéressent de moins en moins à la masse des Camerounais…

Il est intéressant ici de comparer N’Djamena Hebdo et Situations [hebdomadaire du groupe Mutations, ndlr]. Sur la forme, Situations est un des meilleurs journaux de la région. Mais sur le fond, c’est bien différent : pendant que N’Djamena Hebdo s’intéresse aux vrais problèmes des Tchadiens, Situations fait des enquêtes de deux pages pour indiquer aux Camerounais… la façon de choisir les meilleurs vins pour les fêtes de fin d’année ! Je sais bien qu’il y a des Camerounais qui s’offrent des bouteilles de vin à 300.000 F Cfa, voire le double… mais quand même ! La presse camerounaise est potentiellement excellente. Les Camerounais en général sont potentiellement très compétents, très revêches, très contestataires. Même révolutionnaires ! Mais tout ça n’est que potentiel. Le drame du Cameroun, qui est un pays extrêmement riche, c’est que ceux qui ne sont pas au pouvoir se sentent inférieurs, et se mettent à plat ventre pour récupérer quelques miettes des richesses que s’accaparent ceux qui sont au pouvoir.

Je suis ton aîné, tu n’as pas à discuter. Attends que ton heure arrive

Votre livre sonne comme un acte d’irrévérence à l’égard des « aînés » qui sont traditionnellement très respectés dans ce pays. Ce livre n’est-il pas celui d’un jeune qui s’est senti trahi par ses aînés ?

C’est une question de personnalité. Quand j’étais au Parlement des Étudiants, à l’université, c’était déjà cela que je manifestais. Le mouvement de 1990 a jeté bas le masque des mandarins, des gens dont la seule « qualité » était leur âge. Au sein des entreprises, de l’université, de la famille, en politique, c’était toujours le même discours : « Je suis ton aîné, tu n’as pas à discuter. Attends que ton heure arrive ! ». C’est un truc qui ne me convient pas. On le voit dans le livre : je publie les lettres de protestation que j’ai adressées à mes différents patrons. Le respect dû aux aînés n’est pas quelque chose de négatif, en réalité. Mais il faut tout de même que les aînés soient à la hauteur de ce respect-là. Or, il se trouve que nos aînés ne sont pas à la hauteur, à l’heure actuelle. Entraîner le Cameroun, avec toutes les richesses dont dispose ce pays, dans la situation dans laquelle il se trouve et vouloir être respecté ?!… On leur dit tranquillement : vous n’êtes pas les aînés qu’on entendait respecter. Ils ont trahi ce respect-là.

Que reste-t-il de l’esprit du début des années 1990 qui vous a animé comme étudiant et qui visiblement vous a animé comme journaliste ?

Très peu de choses. De tous les leaders du Parlement estudiantin de l’époque – nous étions une douzaine – je crois que je suis le seul qui est resté au Cameroun. Les Camerounais qui ont vingt ans aujourd’hui ne se réfèrent à rien qui pourrait correspondre à ce mouvement de 1990. Je réfléchis souvent à ce que pensent ceux qui ont vingt ans aujourd’hui. Parce que je sais que ma vie a été très dense à cet âge-là. Comme m’a dit quelqu’un : à vingt ans on est toujours plus ou moins communiste. On rêve. Et chacun cherche le meilleur compromis entre ses rêves et la réalité. Moi, je continue à prendre mes rêves pour des réalités. Mais je me demande bien ce qui permettrait à un Camerounais qui a vingt ans aujourd’hui de rêver pour les quinze prochaines années. Je ne vois pas. J’espère qu’il va se passer quelque chose d’ici-là.

Beaucoup de ceux qui ont lu votre livre vous reprochent, et je m’associe à cette critique, de manquer d’autodérision. Vous ne manquez certes pas d’humour, mais vous avez tendance à le mettre systématiquement à votre propre service…

L’autodérision est difficile dans ce pays parce qu’on court toujours le risque d’être compris au premier degré. C’est un risque réel que j’essaie tout de même de prendre. Sur un plan purement personnel, j’aime beaucoup l’humour. Ceci étant dit, il s’agit tout de même d’un sujet grave : il s’agit d’un rêve brisé. Pas le mien… Mais on a donné la possibilité aux Camerounais de rêver. On les a laissé rêver. Souvenons-nous des élections de 1992, c’était palpable : les Camerounais ont rêvé d’un autre pays. On a cru voir comment le pays changerait. On a cru que ce sont ceux pour lesquels nous avions voté qui dirigeraient le pays, et que nous les obligerions à nous écouter. Mais ensuite, on nous a dit : « Non, non, non, c’est pas du tout ça ! Vous n’avez pas le droit ! C’est pas comme ça que ça se passe ! » Quand on a donné aux gens la possibilité de rêver et qu’on a brisé ce rêve, il ne faut pas s’attendre à en faire des lurons.


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