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Gaza : des dieux et des chiens

Tribune / samedi 10 janvier 2009 par Ahmed Boubeker
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Ahmed Boubeker, universitaire spécialiste des questions d’immigration et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, livre pour Bakchich son ressenti sur le conflit de Gaza.

J’avais d’abord pensé ne rien écrire sur cette triste actualité pour ne pas être enrôlé malgré moi dans ce bastion de la démagogie où la petitesse médiatique n’a d’égal que la saloperie politique – salaud, au sens sartrien, cela va sans dire ! Qu’écrire en effet de soutenable sur la Palestine lorsque même l’institution du langage semble déboulonnée, lorsque les mots semblent à ce point piégés, dénaturés, déréalisés, qu’on a toujours l’impression à les utiliser de se salir la conscience ?

Embrigadement de vocabulaire

Car enfin ne soyons pas dupes : c’est toujours embrigader le vocabulaire dans un camp ou le pire des sophismes que de parler de guerre alors qu’il n’y a pas de commune mesure entre les rockets palestiniens et la toute puissance de feu de l’armée israélienne - Tsahal dans l’intimité politico médiatique soit dit en passant ! De l’autre bord du mur de l’incommunicabilité, les rockets du Hamas détonent comme la dernière icône de la résistance palestinienne. Et l’hémorragie du langage semble ici couler vers une autre toute puissance qui serait celle du symbole. Ah ! Cette satanée démesure du symbole virant à la peste émotionnelle sur fond de romantisme révolutionnaire. J’avoue ainsi que lorsque j’entends parler de la Palestine, j’en perds toujours un peu mon logos, comme si une remontée de violence tentait de libérer mes tripes de la merde idéologique que charrie les « chroniques des temps consensuels » pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jacques Rancière. Ce frisson de haine, je ne crois pas que quiconque se reconnaissant dans la révolte des damnés de la terre puisse prétendre ne l’avoir pas ressentie un jour, ne serait-ce que de manière fugitive. Dans ces moments de violence fantasmatique, on rêve de faire la nique à tous ces salauds de néo-sophistes occidentaux qui au nom d’une guerre à la terreur prétendent imposer l’ordre de leur hégémonie quasi divine à tous les éclopés de la modernité. Reste que nous autres aussi, les mal guéris de l’utopie, nous devenons des salauds lorsque nous prenons en otage de notre cause des pauvres bougres sur lesquels pleuvent les bombes.

A ce propos, l’argument massue de l’Etat israélien - relayé par Sarko et consorts french doctor passé de la cause des droits de l’homme à la diplomatie de la guerre humanitaire – n’est-il pas que c’est le Hamas qui a déclenché les hostilité en se cachant derrière la population de Gaza ? C’est non seulement oublier que c’est tout de même Israël la puissance colonisatrice, mais aussi qu’il n’y a pas de demi mesure lorsque la sécurité devient une nouvelle vache sacrée. La loi du talion ne saurait être un remède à la peur des rockets et la dialectique de la sécurité et de la guerre se résout par une seule formule : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » [1]. Or le Hamas sait bien que l’Etat hébreux ne peut pas se permettre de tuer tous les Gazaouis car Ehud Olmert n’est pas le sire Amaury.

Cynique, littéralement veut dire chien

Le mouvement fondamentaliste a beau jeu dès lors d’envoyer ses rockets contre les populations israéliennes pour entretenir la flamme symbolique d’une résistance palestinienne. Cynisme politique au nom d’une OPA islamiste sur la Palestine ? Rocket est un mot anglais qui ressemble à notre roquet, petit chien aboyant sans cesse ou personne hargneuse et peu redoutable. Cette quasi-homonymie m’évoque un personnage d’un roman de Saul Bellow affirmant que l’aboiement du chien est le cri de sa révolte contre la limite de son expérience de chien. Si les rockets du Hamas rappellent le roquet, on peut imaginer que la rage est aussi celle de tous les Gazaouis qui mènent « une vie de chien » et qui aspirent à devenir des humains comme les autres. Et pour en rajouter dans la métaphore, rappelons que cynique [2] , littéralement ça veut dire chien !

Les pépins de l’armée israélienne

J’avais donc pensé ne rien écrire sur cette triste actualité, mais je me suis ravisé lorsque j’ai entendu sur France inter le porte parole du gouvernement israélien. A un journaliste qui l’interroge, il répond que mis à part « quelques pépins » l’armée Israélienne est sur le point d’atteindre ses objectifs. On croirait entendre un vilain remake du «  détail » de Jean Marie Le Pen. La mort de plusieurs centaines de civils innocents ne serait que « pépin » ? Le porte parole en rajoute une couche lorsqu’il précise qu’il voulait simplement parler des contretemps sur la route de l’avancée de l’armée israélienne. Autrement dit, les morts palestiniens ne méritent même pas de figurer à la rubrique des chiens écrasés ! Face à un tel déni d’humanité dans l’hybris [3] israélienne, on ne peut que comprendre le « devenir animal » - pour parler comme Gilles Deleuze - ou cynique des Gazaouis. Deleuze qui écrivait jadis : « A la formule orgueilleuse d’Israël, nous ne sommes pas un peuple comme les autres, n’a cessé de répondre un cri des palestiniens…nous sommes un peuple comme les autres, nous ne voulons être que cela » [4].

Et le philosophe de prophétiser, il y a déjà un quart de siècle, qu’à force de faire comme si le peuple palestinien non seulement ne devait plus être, mais n’avait jamais été, celui-ci finira par disparaître dans l’intégrisme musulman, « mais ce serait dans de telles conditions que le Monde, les Etats-Unis et même Israël n’auraient pas fini de regretter les occasions perdues » [5]. Car les chiens mordent aussi. Et le devenir cynique de Gaza n’est que le miroir de cette bonne conscience sophistiquée qui nous fait croire que certains hommes pourraient être moins humains que d’autres.

A lire ou relire sur Bakchich.info

Le Hamas a rompu la trêve avec Israël. Pas de chance, l’armée israélienne est encore beaucoup mieux organisé que le mouvement palestinien. Petit point d’un conflit qui re-commence.
Deux voix juives sur le conflit à Gaza. Ofer Bronchtein, ancien conseiller d’Yitzhak Rabin, décrypte la nécessaire « politisation du Hamas » et l’UEJF, inquiète des récents actes antisémites.
En guerre totale contre le Hamas, Israël a pourtant aidé ce mouvement à monter en puissance, indique un rapport de la DGSE. Jusqu’à ce que la « créature » leur échappe.

[1] La formule serait du légat du pape Arnaud Amaury dirigeant la croisade contre les Cathares en 1209. Elle aurait été prononcée lors du sac de Béziers, lorsque les croisés demandèrent au légat comment distinguer les hérétiques des autres habitants de la ville.

[2] Le cynisme est une philosophie contestataire contre les fondements de la cité grecque. Dans le contexte d’une société hellénistique marquée par moult inégalités, ceux qui revendiquent fièrement l’appellation de chiens ouvrent le chemin d’une révolte morale.

[3] Folie sacrée chez les grecs, lorsque les hommes dépassent toute mesure en se prenant pour des dieux

[4] Gilles Deleuze, Grandeur de Yasser Arafat, in « Deux régimes de fous », Editions de Minuit 2003

[5] Ibid


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Forum

  • Gaza : des dieux et des chiens
    le mercredi 17 février 2010 à 17:40, Lindasaadaoui a dit :

    Merci pour cet article à l’auteur qui ne voulait a priori pas participer aux discussions sur le thème de ce que effectivement, on ne peut pas pas appelé une "guerre" mais plutôt un massacre. Merci pour l’éclairage et les nombreuses pistes de réflexion qu’il suscite.

    Avec tout mon respect,

    Linda Saadaoui.

  • Gaza : des dieux et des chiens
    le lundi 12 janvier 2009 à 14:23, Philippe a dit :

    Bonjour,

    Je remercie et salue l’auteur de ce texte paru sur Bakchich.

    Même ses possibles imperfections ou lacunes soulignent l’essentiel : un peuple est assassiné, opprimé, trahi, abandonné, réprimé, privé des droits fondamentaux de tous les peuples du monde depuis plus de 60 ans.

    Oui, ce peuple palestinien, qui s’est forgé historiquement face au déni violent et sanglant de son destin collectif de peuple apatride (au sens légal du mot), ce peuple exclu du destin humain, massacré à de nombreuses reprises (et pas seulement par une seule armée), a le droit d’exister comme tout autre peuple du monde.

    Quant aux "pépins", on dit à la fois qu’ils sont des graines appelées à pousser dans le futur ou bien des "objets" qui empêchent d’aller plus avant- qui bloquent- dans certains processus.

    Traiter des milliers de victimes de "pépins" indique simplement que tout peuple oppresseur, comme le rappellent tous les philosophes et historiens depuis l’Antiquité, perd son âme humaine en opprimant, en réprimant et en écrasant un autre peuple.

    Au final, c’est le peuple oppresseur qui se détruit lui-même en perdant son humanité.

    Merci à l’auteur de rappeler ce droit de tous les peuples à vivre comme tous les autres, tous simplement, tout humainement. Et ce droit s’applique aussi aux 6 millions de Palestiniens dispersés dans le monde, comme à tout autre.

    Bien cordialement,

  • Gaza : des dieux et des chiens
    le lundi 12 janvier 2009 à 13:52, Momo a dit :

    Faut- il se prosterner devant Israël à l’image d’un France rongée par sa culpabilité historique.

    Nous autres Arabes, nous n’avons rien à voir ni avec l’antisémitisme, ni avec la Choa …Ce n’est pas nous qui avions vendu nos juifs à Hitler par lâcheté

    Pour nous, c’est juste une question d’injustice que nous essayons de réparer par nos propres moyens.

    Un peuple frère a été colonisé, chassé de ses terres, humilié depuis 1948 par ceux- là même qui prétendent détenir le monopole de la souffrance absolue.

    Puisque les victimes d’hier sont devenus les boureaux d’aujourd’hui, à l’image de leurs boureaux d’hier, nous continuerons à lutter jusqu’à ce que justice et territoires soient rendus à nos frères Palestiniens.

    Vive la résitence du peuple palestinien

  • Gaza : des dieux et des chiens
    le dimanche 11 janvier 2009 à 23:17, Olivier a dit :

    Israël est le produit de l’inconscient colonialiste européen. Que ce soit à la source du sionisme ou à la création d’Israël, il était concevable qu’un citoyen européen, fût-il juif opprimé en Europe, puisse se lancer dans une entreprise coloniale à l’égard de populations arabes, ces indigènes, quantité négligeable, vus comme des êtres inférieurs et dont l’opinion, la tradition, la culture, la vie, n’avaient que peu d’importance. Les Terres qui appartenaient à des arabes n’appartenaient à personne, ou à tout le monde… On pensait suite aux guerres de décolonisations que cet inconscient colonialiste occidental disparaîtrait. Mais dans cette guerre meurtrière d’Israël, il ressurgit de plus belle, dans la bouche de nos journalistes, de nos politiques…

    Certes, on trouve bien regrettable que 800 palestiniens trouvent la mort dans des conditions atroces. Mais finalement, ne l’ont-ils pas un peu cherché ? Ne sont-ils pas les premiers responsables de ce qui leur arrive ? Oui, c’est horrible, ces femmes, ces enfants, ces simples individus déchiquetés par des missiles, des chars, des tanks, mais ne soutiennent-ils pas de dangereux islamistes terroristes ? Ne les ont-ils pas porté au pouvoir ? Il faut bien leur faire entendre raison ! Si l’enfermement, l’embargo, la colonisation, n’ont pas suffit, il faut bien passer à l’étape suivante ! Et c’est bien à regret qu’Israël, seule démocratie du Proche-Orient, les massacre ! C’est à contre-cœur ! Mieux, c’est avant tout pour leur bien… Le comprenne-t-il, ces ingrats ?

    Accepterions-nous que plusieurs centaines de citoyens basques périssent en 10 jours lors d’une opération de l’armée espagnol, sous prétexte que l’ETA aurait commis des attentats, fussent-ils meurtriers ? En d’autre temps, aurions-nous trouvé normal que des centaines d’irlandais soient massacrés, sous prétexte de punir l’Ira dont un attentat fît une dizaine de morts à Londres ? Bien sûr que non ! Nous n’acceptons pas ça, parce que ce sont nos semblables, pas cet Autre absolu : Le palestinien, l’arabe, le musulman, cet être qui ne peut inspirer que la méfiance et la vengeance préventive.

  • Gaza : des dieux et des chiens
    le dimanche 11 janvier 2009 à 22:53, Caposse a dit :
    Aux faux-monayeurs de l’Histoire qui écoulent sans peine aucune le mythe de l’Israël colonisateur je leur conseille un voyage à Rome afin d’admirer l’Arc de Triomphe de Titus élevé en l’an 81 par Domitien et qui consacre la victoire des légions romaines et le saccage du Temple de Jérusalem.Sur l’un des bas-reliefs est sculpté le défilé des armées romaines promenant et exhibant le chandelier à 7 branches dérobé dans ce même Temple en 70. Les prisonniers juifs seront exhibés également durant cette célébration…..Pas de prisonniers Arabes et pour cause , ils étaient absents d’Israël ! ils arrivèrent en 638 en colonisateurs conquérants ….comme les Romains . Si les Arabes devaient se voir reconnaître une légitimité sur cette terre, nul doute que les Grecs , les Romains,les Croisés Français, les Ottomans et les Anglais auraient quelque droit à faire valoir !Ils furent tous de vrais colonisateurs .
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