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Birmanie : la tentation terroriste

REPORTAGE CLANDESTIN / mardi 22 janvier 2008 par Monsieur B.
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Quatre mois après les manifestations de moines qui ont fait tanguer la junte au pouvoir, la société birmane sombre dans le désespoir. Les arrestations massives, elles, continuent…

Ancienne colonie britannique, la Birmanie a longtemps conduit à gauche, avec volant à droite. Jusqu’à ce que le général-dictateur Ne Win, voici 30 ans, décide du contraire. Depuis, les véhicules roulent à droite, tout en conservant le volant à… droite. De quoi donner au trafic routier une étrange allure. Sur les rares tronçons à quatre voies, les véhicules lents roulent sur la file de gauche et les dépassements se font sur la droite, visibilité oblige. Quant aux passagers des bus, ils sont condamnés à monter et descendre par la gauche, au beau milieu de la chaussée. Mais, de cette aberration routière, les Birmans n’en ont plus que faire. La révolution safran, les manifestations non-violentes conduites par les moines fin septembre 2007, a échoué.

Terreur sous ombrelle - JPG - 31.5 ko
Terreur sous ombrelle
© baroug

Tel est le sentiment amer qui domine en Birmanie où beaucoup ont cru, voyant défiler en boucle sur les chaînes d’information du monde entier les images tournées à Rangoon, que la communauté internationale allait contraindre la junte au pouvoir à lâcher du lest. Il n’en fût rien et aujourd’hui il n’est pas rare de croiser des Birmans qui, à l’abri des oreilles indiscrètes, crachent leur mépris pour « ces généraux corrompus et tueurs de moines, qui mènent le pays, pourtant riche, vers la famine. »

Ainsi, à l’arrière d’un vieux taxi brinquebalant dans les rues de Rangoon, ce participant aux évènements de septembre explique : « Notre erreur d’appréciation remonte à 1988 où, en quelques jours, l’armée a massacré à huis clos des milliers de civils désarmés, moines, étudiants etc sans aucune réaction internationale. Pas d’images ! En 2007, la médiatisation a si bien fonctionné que la suite semblait aller de soi. D’autant que notre action coïncidait avec l’Assemblée Générale de l’ONU où, malgré les réticences chinoises et russes, le cas birman a été évoqué. »

Le Blues des toto

Ils ne sont plus aussi nombreux que dans les années 1995-1998, époque où Total posait son célèbre gazoduc. Mais les employés expatriés de Total en Birmanie et leurs familles, surnommés localement les Toto (du pluriel de Total) constituent encore la plus importante population occidentale au paradis des généraux. Les évènements de septembre ont été fort mal vécus par ces privilégiés. Non qu’ils aient été molestés par la soldatesque birmane mais, pour la première fois, ils ont entendu des paroles blessantes à l’encontre de leur entreprise. Leur mère nourricière, qui leur fournit le gîte, le couvert et l’école de leurs enfants serait ainsi l’un des principaux responsables du maintien au pouvoir de la junte… Pire encore : alors que les mesures de sécurité les plus strictes leur interdisent tout contact avec des personnes non autorisées par la hiérarchie ou encore de sortir de Rangoon sans escorte, ils ont été accusés de soutenir un régime que plus personne ne défend depuis qu’ils ont ouvert le feu sur les moines. Paris a dépêché une équipe de soutien psychologique. Ambiance…

Pour cet ex-universitaire rencontré dans une librairie de Rangoon, l’échec de la révolution safran doit aussi s’analyser au regard de 1988. « L’espoir né de la médiatisation internationale a fait oublier que la Birmanie est devenue un enjeu énergétique majeur. Et que les exploitants des gisements gaziers qui traitent avec les généraux n’ont aucune envie de changer de partenaires. »

Pour ne rien arranger, les arrestations de civils continuent et se déroulent de nuit. Certains sont relâchés, d’autres disparaissent sans laisser de traces et sans qu’aucun décompte fiable n’existe. Il en va de même pour les moines, bien moins nombreux à arpenter les rues pour l’aumône. Là encore, pas de décompte entre les arrestations et ceux qui sont défroqués puis renvoyés dans leurs villages d’origine. Dans les grandes villes, la junte a même doté leurs monastères d’un poste de garde policier.

Corollaire du désespoir qui a envahi la société birmane, désormais convaincue de l’échec du changement sans violence (prôné par la Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi), des opposants de l’intérieur issus de la société civile n’échappent plus à la tentation terroriste. Sans enthousiasme, un de leurs sympathisants affirme : « En Irak, en Afghanistan, au Sri Lanka, au Népal, on négocie avec les poseurs de bombe. Pourquoi pas en Birmanie ? De toute façon, en 45 ans, les généraux n’ont jamais négocié avec des pacifistes, ils les écrasent ! ». Signe prémonitoire ? Le 11 janvier, une bombe a tué une femme dans la gare de la nouvelle capitale érigée par les généraux, Pyinmana. C’était la troisième petite explosion en 24 heures, annoncée par la junte.

Le rôle trouble de la Thaïlande

Depuis que la Thaïlande est cliente du gaz birman (merci Total), Bangkok n’a eu de cesse de soutenir la junte de Rangoon. Il faut dire que les généraux des deux pays font de juteuses affaires entre eux… Le soutien thaïlandais s’est avéré particulièrement précieux pour Rangoon lors des manifestations de septembre. La Thaïlande a tout simplement bloqué toute possibilité pour les deux principaux mouvements de guérilla encore en conflit avec la junte birmane de venir en aide aux manifestants. Les armées Karen et Shan, qui alignent toujours quelques milliers de combattants aguerris adossés à la frontière birmano-thaïe, ont vu les troupes d’élite birmanes quitter leurs positions pour renforcer le dispositif répressif à Rangoon et Mandalay. Se préparant à passer à l’offensive, les chefs guérilleros ont reçu la visite des chefs du renseignement militaire thaï qui leur ont fait comprendre que toute exploitation de la situation aboutirait à l’expulsion de leurs familles et leur interdirait définitivement l’accès au territoire thaï, gage de leur survie.

Quand on sait que depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Bangkok n’a jamais rien décidé sans l’aval de Washington, difficile de penser que leur actuelle politique à l’égard de Rangoon échappe à la règle. La Maison-Blanche, si prompte à soutenir Aung San Suu Kyi et à condamner « l’avant-poste de la tyrannie » que constitue à ses yeux la dictature birmane jouerait-elle double jeu ? Dans ce contexte, la déclaration de Bernard Kouchner en tournée en novembre dans les pays du sud-est asiatique vantant « les bienfaits pour les peuples birman et thaïlandais du gazoduc de Total » — la principale source de devises de la junte — prend tout son sens. Avis aux démocrates birmans : ne confondez pas opinion publique internationale et communauté internationale.

Voir en ligne : In Bakchich n°64

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5 MESSAGES

Forum

  • Birmanie : la tentation terroriste
    le mercredi 30 janvier 2008 à 17:16, tournebise a dit :
    papier informatif et vivant comme nous n’en avons plus beaucoup récemment, maintenant que le silence est retombé sur la situation dans ce pays. merci
  • Birmanie : la tentation terroriste
    le dimanche 27 janvier 2008 à 12:47, Edmond a dit :

    Merci pour cet article dont le principal interet est, à mon sens, de persister à parler de la region à la lueur des évenements recents tout en faisant le lien avec les luttes ethniques en cours, principalement en pays Karen.

    Il est particulierement interessant d’apprendre que la KNU (Union National Karen) et son bras armé (KNLA) dont l’ensemble des têtes dirigeantes se trouvent coté Thai à la frontière avec la Birmanie depuis le debut de la guerre pour l’independance aient été muselés par les services de renseignements Thai au cours des evenements recents en Birmanie. Cela explique en effet pourquoi la KNLA n’a pas profité de la situation alors qu’elle etait jusqu’au debut de la saison des pluies de l’année derniere (mai-juin 2007) en sursit. Beaucoup d’observateurs annoncaient en effet leur disparition imminante depuis la deroute militaire et politique de la 7eme brigade Karen accentuée en debut d’année 2007. Nous nous attendions à une reprise des pressions de l’armée Birmane dans la region à la fin de cette saison lorsque les routes seraient redevenues pratiquables et propices à de plus amples deplacements.

    Aussi, tenant comme capitale cette information, je déplore qu’elle ne soit ettayée d’une source permettant sa verification puisque même l’irrawaddy, le plus populaire des journaux opposant basé à Chiang Mai (Thailande), ne s’en fait pas echo.

    Je me permets par ailleurs de vous exprimer mon ("TOTAL") desaccord sur deux points de votre article :

    - Tout d’abord, je trouve particulierement hasardeux et un peu court de lancer l’hypothese d’un double jeu americain sur le seul argument que "Bangkok n’ai jamais rien decidé sans l’aval de Washington". Il me semble que, aussi proche soient politiquement ces deux pays, la Thailande n’a pas hesité à se demarquer chaque fois qu’elle le jugeait necessaire.

    Pour preuve la destitution recente du premier ministre Taksin qui n’arrange pas les affaires du departement US, les limites posées à l’echange militaire "golden cobra", la fermeture des bases aerienne US en Thailande, les hiatus observés en matiere de lutte contre le traffic de drogues, l’enlisement de la situation des refugiés du Laos, la lenteur imposée aux états unis par les Thai à la resolution du probleme des camps de refugiés de la frontiere avec la Birmanie,… Voir, probablement, un soutien indirect Thai à un programme nucleaire Birman. En matiere de double jeu, la France semble en imposer d’avantage quoique ses gesticulations dans la region semblent aussi incoherantes que grotesques. Et là, remercions Kouchner plus que Total.

    - Concernant Total en effet : Il est desormais la coutume Francaise d’aborder la Birmanie et ses problemes via la "scandaleuse" presence du groupe Petrolier. Et cela devient horripilant en fait. Car à ma connaissance, le groupe n’est pas le principal petrolier present, son activité petroliere dans ce pays est considérée comme derisoire comparativement au marché, aux volumes d’extraction et aux contrats en cours ailleurs.

    J’ai plutot la notion que le groupe ai été maintenu dans la region au prix d’une impopularité internationale pour de simples raisons politiques par le gouvernement Francais. Pour se maintenir economiquement dans la région comme pour faire bonne figure à Pekin. Il est un peu trop facile de taper sur un petrolier en ce moment. C’est d’ailleurs prendre le risque d’un nouveau camouflet identique à celui subit il y a quelques année par les ONG lorsqu’elles tentairent de faire croire que Total utilisait des bouclier humains Karens pour deminer les zones de chantier. Information démentie par les dignitaires Karens eux mêmes en son temps (lire, si vous le retrouvez, l’article "et si Total avait été enfumée par les ONG" paru, je crois, dans "Marianne" il y a quelque chose comme 10 ans).

    D’ailleurs, je reste tres dubitatif sur l’information que vous donnez selon laquelle les expatriés du groupe constituent la plus importante population occidentale en Birmanie. Je pari une chemise Karen que l’aeropage humanitaire (ONU et croix rouge inclue, je precise car le qualificatif humanitaire n’est pas toujours une evidence pour ces deux organisations) remporte la palme… Et nous savons (si si nous le savons) que les organisations humanitaires sont une source privilegiée d’infiltration par les services de renseignement de tout poil.

    Terminant (enfin) sur les Karens, je vous conseil une oeuvre cinematographique majeure sous vos ecrans francais à partir de debut fevrier : John Rambo !

    Ne serait-ce pas là une sorte "d’education politique" à la sauce US ? Est ce vraiment un hasard si ce film sort au moment ou les états unis annoncent une intensification des pressions contre la Birmanie apres une année 2007 deja fortement bien remplie (main dans la main avec les anglais qui depechent des deputés faire du "cross boarding") ? Je reste persuadé que, tout en soutenant ouvertement Aung San Suu Kyi, les états unis s’assurent d’un eventuel contre pouvoir ethnique avec les Karens dans la mesure ou cette grande dame ne s’est jamais risquée à s’engager aupres de ces derniers. Il est fort à parier que son accession au gouvernement ne regle absolument pas la question Karen. Puisqu’elle leur a deja refusé en 1988 toute perspective d’emancipation au sein d’une eventuel Birmanie devenue démocratique.

    Ainsi, Aung San Suu Kyi ne serait pas une personne fiable à 100% pour les ambitions americaines car elle est deja bien engagé dans un processus politique national fort et structuré. Ce qui n’est pas le cas des Karens (l’identité politique Karen est tres faible). En revanche, les etats unis aiment à faire croire qu’ils partagent un même gout pour les bondieuseries…

    La révolte qualifiée "safran" ne serait elle pas un tour de chauffe à une authentique révolution sur le mode des revolutions des oeillets, de velours, orange,… Bref, avec un Oncle Sam en embuscade ?

    • Birmanie : la tentation terroriste (réponse à Edmond)
      le mercredi 30 janvier 2008 à 17:05, M.B a dit :
      En ce qui concerne les fortes pressions thai sur la KNLA, nous disposons d’un témoin direct fiable qui était sur les lieux lors de la visite d’un chef du renseignement militaire thai. Ce n’était pas le cas de l’Irrawaddy, et on peut comprendre que ni les thais, ni les karen, ni les shans (qui ont subi le même traitement) ne s’en soient vantés. A propos de la Maison Blanche, faut-il rappeler l’étroitesse des liens unissant george.W.Bush et les pétroliers ? Unocal, repris par Chevron est le principal partenaire de Total ds le gazoduc yadana, et personne n’a entendu l’administration réclamer le départ de Chevron de Birmanie, alors que, justement Total et ses associés sont le principal pourvoyeur de devises de la junte, la perfusion financière qui lui a permis de tenir jusqu’à présent. (Seuls deux gisements d’hydrocarbures birmans sont actuellement en exploitation, Yadana et Yetagun) De grâce, ne vous discreditez pas en minimisant le rôle majeur en Birmanie de Total, en vous appuyant sur un article bidonné de Marianne… Quant aux effectifs d’expatriés, faut-il rappeler que les agences onusiennes ne sont pas homogènes quant aux nationalités, alors que les expats de Total sont français.
      • Birmanie : la tentation terroriste (réponse à Edmond)
        le lundi 4 février 2008 à 22:20, edmond a dit :

        Merci pour les précisions apportées en appuye de votre information : Les services de renseignement Thai muselent ce qui aurait pû etre un enorme espoir militaire Karen. Il me semble en effet que ceux qui voudrons remettre en question cette information le ferons en parfaite méconnaissance du sujet tant elle est logique, coherante, et qu’elle suffit à expliquer l’absence de reaction de la KNLA.

        Je voudrais éviter la polemique sur Total. Il me semble vraiment que, concernant les Karen, ca ne soit pas le probleme. Il suffit que le vent tourne pour que les pétroliers tirent un bord. Et je les crois inevitables. "lorsqu’une prostituée change de trottoir, elle ne change pas de métier"

        En revanche, je suis nettement plus interessé par les intentions états uniennes (pour parler comme dans "le monde diplomatique"). Il existe aux états unis un force politique non négligeable : la religion. Hors, le vers est dans le fruit. Les evangeliseurs sont deja sur place. Ils peuvent faire imposer des decisions politiques qui ne sont pas toujours dans le sens de celui des petroliers. Et G. Bush est mauribond. Pas encore la religion aux US.

        Pourquoi des organisations comme les "free burma rangers" (FBR : http://www.freeburmarangers.org/) ou la "Border Green Energy Team" (BGET) ont elles leurs sièges tolérés en Thailande alors qu’elles declarent ouvertement sur leurs site internet intervenir directement pour les Karens en Birmanie via du "cross-boarding" ? Cette seule activité a suffit pour faire expulser bien d’autres. Car les Thais n’aiment pas ces agitateurs qui mettent en difficulté leur business avec les Birmans. Donc, ou est le "passe droit" ?

        A la tete des FBR, il y a un pasteur. Tres charismatique, il a ses entrées (dit-on) au sénat. Il arrive ainsi à faire venir des dignitaires Karens à Washington alors que ceux ci ont des problematiques de papiers et qu’ils representent un organisation toujours classée "terroriste" par les US. Un exploit par les temps qui courent non ?

        Derriere la BGET, il y a l’ordre de Malte (ca n’est pas de la science fiction, prendre un peu de temps à chercher dans les liens et faire des copier collés avec les noms… Et puis, "un temoin direct fiable etait sur les lieux"). Ils arrivent à faire venir des panneaux solaires en territoire Karen. Ca a un prix que seuls les gouvernements ou les eglises (US) peuvent payer.

        Il est absolument IMPOSSIBLE de faire un recherche sur les Karens sans tomber sur une église.

        Non, je n’ai pas entendu les US demander le depart de Chevron de Birmanie. Mais j’ai entendu sarko le faire pour Total. Et nous pouvons tres suspecter fortement que ce dernier soit entré dans la danse pour faire plaisir aux états unis. Pensez vous que l’on troc des presences petrolieres si leur rôle est aussi majeur en Birmanie ?

  • Birmanie : la tentation terroriste
    le mercredi 23 janvier 2008 à 10:00, Il Monacu a dit :
    Coup de semonce pour les grands petroliers. On arrive peut-etre au dernier moment pour faire un role constructif dans l’avenir de la Birmanie. Mais si l’Occident et ses mulinationals font rien sauf leur gains enormes grace a la collaboration avec le pouvoir, ce pays pourrait etre la prochaine crise numero uno du monde.
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