Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
MONDE / EUROPE

Berlin-Est et avoir été

Die Mauer / jeudi 5 novembre 2009 par Pierre Wassermann
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

Le 4 novembre 1989, ils manifestaient par milliers en Allemagne de l’Est, sur l’Alexanderplatz, pour en finir avec un pouvoir autoritaire. L’universitaire Boris Grésillon nous parle des traces du "mur de la honte" vingt ans après.

« Les révolutions se font par en bas. Le "bas" et le "haut" permutent dans le système des valeurs, et c’est ce mouvement qui remet sur ses pieds la société socialiste qui reposait jusque là sur sa tête  ».

Ainsi parlait l’écrivaine Christa Wolf le 4 novembre 1989, dans un discours marquant, tenu devant plus de 500.000 manifestants rassemblés sur l’Alexanderplatz, un haut-lieu du prétendu « socialisme démocratique ». A proximité du Conseil d’Etat, de la Chambre du peuple (le parlement est-allemand), de l’hôtel de ville et du siège du SED (le parti d’Etat), cette place incarne la puissance est-allemande. A tel point que la Tour de télévision, qui y est implantée, domine toute la ville, est et ouest confondus.

A Berlin, comme à Leipzig, Dessau, Dresde, Halle et bien d’autres villes encore, ils scandaient : « wir sind das Volk » ("Nous sommes le peuple"). Ils voulaient reprendre le pouvoir entre les mains d’un régime autoritaire, qui avait instauré la surveillance quasi-permanente avec la Stasi, qui rencontrait de graves problèmes économiques et qui oubliait sans cesse un peu plus ses idéaux fondateurs.

Leurs mots résonnent autrement aujourd’hui. Car entre temps, l’écrivaine comme 81 millions d’Allemands vivent dans un pays réunifié.

Un vide politique

Paradoxalement, cette journée de manifestation fut celle qui scella le sort du pays. Du côté est-allemand, le pouvoir est profondément déstabilisé. Depuis quelques jours, Erich Honecker a été destitué et remplacé par Egon Krenz à la tête de l’Etat qui ne fait pas face à la contestation ; d’ailleurs, le Politbüro s’émeut de l’ampleur du mouvement, démissionne et une nouvelle équipe prend les rênes. Dans ce vide politique, la moindre parole venue du grand frère russe ou de « l’autre Allemagne » peut avoir des conséquences immédiates.

Du côté ouest-allemand, Helmut Kohl l’a bien compris. Quant à Mikhaël Gorbatchev, à la tête de l’URSS, il avait déjà fait savoir lors des célébrations du 40ème anniversaire de la RDA que « la vie punit celui qui arrive en retard  »… Bref, qu’il fallait savoir composer avec les événements, et les peuples, et qu’il n’interviendrait pas pour « sauver » la RDA.

Quand Helmut Kohl signale, le 8 novembre, devant l’assemblée législative ouest-allemande, le Bundestag, que « la division de l’Allemagne est contre-nature, qu’un mur et des barbelés ne sont pas durables, que la question allemande n’est pas réglée », il encourage les manifestants à changer de revendications, et donne le coup de grâce à la RDA.

La réunification plutôt que le pouvoir

« Wir sind ein Volk » : nous sommes un peuple. Le thème de l’unification est dans les bouches et les rêves. Le 9 novembre, il sera quasiment réalisé. Sur le papier. Il y a tout juste 20 ans, les Allemands de l’Est voulaient prendre le pouvoir. En cinq jours, ils veulent la réunification. Dans un bloc de l’Est déstabilisé, ils seront les premiers à faire tomber le « mur de la honte ». Celui-là même qui séparait Berlin en deux, l’Allemagne en deux Etats, l’Europe en deux blocs, le monde en deux camps. En quelques semaines, voire quelques mois pour « l’empire soviétique », les fissures dans le camp socialiste deviennent des gouffres béants. Comme des dominos, les régimes tombent les uns après les autres. Et versent dans le capitalisme débridé.

Selon une étude du Pew Research Center, un centre de recherches américain, les populations des pays de l’Est sont assez peu satisfaites de leur sort : la démocratie et le capitalisme y ont moins la cote dans les pays d’Europe centrale et de l’Est, où beaucoup de gens s’estimaient plus à l’aise économiquement sous l’ère communiste, qu’en 1991, lorsque fut réalisée la précédente enquête.

"Un patrimoine mémoriel" : entretien avec Boris Grésillon

Bakchich a rencontré Boris Grésillon, spécialiste de l’Allemagne et maître de conférences à l’Université de Provence.

- La ville de Berlin porte-t-elle encore des traces du Mur, 20 ans après sa chute ?

- Ce mur n’a pas laissé beaucoup de traces. C’est d’ailleurs assez étonnant vu la puissance de l’événement. Sa chute est peut-être même l’événement de ces 20 dernières années ; en tout cas, elle est un événement majeur sur le continent européen. Il symbolise à la fois la réunification de l’Allemagne et la chute du rideau de fer et donc les retrouvailles géopolitiques de l’Europe jusqu’à l’UE à 27 d’aujourd’hui. Bizarrement, il n’en reste pas beaucoup de traces physiques.

C’est tout à fait compréhensible : ce mur, il a d’abord fallu l’abattre et les gens s’en sont donné à cœur joie. C’était quand même le « mur de la honte ». On se souvient de ces images de gens avec leurs marteaux, arrachant des bouts de mur. Puis, on a vite fait venir les pelleteuses et, enfin, vite détruit le mur. Il devenait absolument impensable dans le paysage de Berlin et de l’Allemagne réunifiée.

Pourtant, même si c’était le mur de la honte, il a joué un rôle très important en terme de patrimoine mémoriel pour l’Allemagne. Il en reste d’ailleurs beaucoup de traces dans les mémoires des Allemands de l’Est et des Allemands de l’Ouest. En ce sens, je trouve que les autorités sont allées un peu loin dans ce mouvement d’éradication.

Aujourd’hui, il ne reste que quelques pans du mur. Et encore, ils ne sont pas en centre-ville, mais plutôt dans des quartiers périphériques, notamment la East Side Gallery qui est devenue une grande galerie d’œuvres contemporaines. Elle regroupe des pans de mur peints par des artistes et des fresques initiales qui ont été rafraichies. Bientôt, il y aura aussi un petit lieu de mémoire du mur, dans la Bernauer Strasse à « Mitte » (un quartier du centre). Mais cet endroit n’est malgré tout pas dans le cœur touristique et passant.

Enfin, autre élément intéressant en matière de « traces laissées par le mur » : les jeunes générations, celles qui ont moins de 20 ans aujourd’hui savent bien sûr que le mur a existé. En revanche, souvent, elles ne connaissent que de manière vague les dates de construction et de chute du mur. Ces jeunes générations s’en préoccupent finalement assez peu.

- Berlin est d’ailleurs redevenue capitale, et est une métropole culturelle, très dynamique même si elle connaît des problèmes économiques et sociaux…

- Berlin est à la fois une capitale vieille et jeune. Elle est redevenue capitale en 1999 avec l’installation de la chancellerie et du Bundestag. Dix ans sont un délai très court pour se reconstruire une identité de capitale. Parallèlement, Berlin a connu la destruction du mur, le raccordement des réseaux de transport, le réaménagement des rues.

Elle est donc encore une ville en chantier qui peut parfois apparaître comme contradictoire. Ainsi, elle n’est pas du tout redevenue une capitale industrielle, financière, ou économique. Si elle redevient une capitale politique, le vide laissé par l’économie et la politique avait d’abord été occupé par la culture.

Dans cette capitale qu’était Berlin régnait une vacuité, un vide du pouvoir, surtout dans les années 90 et, du coup, ceux qui ont fait parler d’eux sont les artistes quels qu’ils soient : classiques, techno, théâtre, plasticiens… Il s’est alors produit une véritable effervescence culturelle à Berlin. En général, ce type de phénomène correspond à une mode qui s’estompe au bout de 5 ou 10 ans. Là, il ne s’estompe pas même si le paysage culturel berlinois ne cesse pas d’évoluer. En 20 ans, « le moteur créatif berlinois » n’essouffle pas.

Berlin est devenue sur le plan architectural, social et culturel une ville un peu plus lisse en 2009 qu’en 1990 ou en 2000, moins rebelle et moins sauvage… mais reste une capitale où l’on créé et invente, innove. Où l’on aime s’attaquer aux pouvoirs en place. Il reste toujours à Berlin cette tradition héritée des années 20 : l’ironie féroce et le besoin d’innover.

- En quoi l’évolution de cette ville symbolise-t-elle l’évolution de l’Allemagne, voire de l’Europe ?

- D’une part, Berlin est une ville unique, donc n’est pas un modèle au sens où d’autres villes allemandes chercheraient à l’imiter. D’autre part, ce qui s’est joué à Berlin a valeur pratiquement universelle, au niveau européen.

Berlin est la seule ville à avoir été divisée en quatre secteurs, gouvernée directement par les quatre puissances (URSS, Etats-Unis, France, Royaume-Uni) et la seule ville d’Europe à avoir été vraiment divisée dans sa chair, par un mur. Ceci lui a donné un statut exceptionnel.

Elle a valeur universelle puisqu’elle a écrit l’histoire. C’est à la fois là où le mur a été édifié, au cœur d’une ville, là où il est tombé. Et à partir du moment où il est tombé à Berlin, il est tombé partout. Redevenue capitale, Berlin influence à la fois ce qui se passe à l’Est et à l’Ouest de l’Europe. Elle dialogue sans problème avec Paris, Moscou, Londres ou Istanbul.

Dans un certain sens, l’Allemagne joue un rôle pivot en Europe, entre Est et Ouest, Nord et Sud et, à sa manière, la capitale joue un rôle de pivot encore plus évident. A mon avis, c’est l’avenir de Berlin, sa chance : être dans cette position géostratégique au carrefour des deux Europes. Reste à savoir si elle saura l’exploiter.

Faire le mur - JPG - 26.3 ko
Faire le mur
Dessin de Ray Clid

Lire ou relire sur Bakchich.info :

Le 27 septembre, les Allemands se rendront aux urnes pour élire leurs députés. Avec une gauche aussi unie que son homologue française. Une voie royale pour le second mandat d’Angela Merkel.
A deux semaines des élections fédérales allemandes, la patate chaude berlinoise porte un nom : la privatisation progressive du réseau ferré allemand. Dont aucun candidat n’assume la dégradation.
Angela, leader de l’Europe ? Pour les Français, la Chancelière arrive en tête des personnalités européennes jugées les plus aptes à devenir le premier Président de l’Europe, selon notre sondage Opinion (…)
Le G20 tant attendu risque de décevoir. La solution serait peut-être plutôt de revenir à la rigueur et de ressouder les relations franco-allemandes.

A lire :

L’Allemagne, vingt ans après. La Documentation photographique / La Documentation française, Paris (2009)

Berlin, métropole culturelle. Belin, Paris (2002)


AFFICHER LES
5 MESSAGES

Forum

  • ’Fin de l’Histoire’ = début de la ’Grande Cata’ ?
    le lundi 9 novembre 2009 à 14:54, Orange a dit :

    Chute du Mur, 20 ans déjà ! Et si ’ La fin de l’Histoire ’ était le début de la ’ Grande Cata ’ ?

    Cette question trouvée sur le portail suisse Pnyx.com rappelle opportunément, vingt ans plus tard, le grand débat engendré par le célèbre article ’La fin du monde’ de Francis Fukuyama, publié dans le numéro d’été 1989 de la revue ’National Interset’ et reproduit par la revue ’Commentaire’ dans l’édition d’automne de la même année.

    2009 : comment les événements que la planète vit depuis un an doivent-ils être mis en perspective vis à vis de la fin de guerre froide ? Pour voir le détail du débat provoqué par cet article de Fukuyama, aller : http://www.pnyx.com/fr_fr/sondage/410

    La question qui se pose aujourd’hui n’est-elle pas :

    En 2008, dans l’immense clash planétaire du système financier, la dynamique engendrée depuis 1989 s’est-elle révélée une impasse ? 20 ans plus tard, ’l’Histoire’ doit-elle finalement se réinventer ?

    Ou au contraire, cette dynamique engendrée en 1989 reste-t’elle valide et la crise de 2008 n’est-elle qu’un ’incident de parcours’ qui ne modifie pas le ’cap’ engagé après la chute du mur ?

  • Berlin-Est et avoir été
    le dimanche 8 novembre 2009 à 16:03

    Qui a remarqué que la pensée unique nous obligeait à applaudir à la chute du mur. Certains sont gênés lorsqu’on rappelle que Mitterrand n’était pas vraiment pour … Et lorsque des journalistes interrogent des Allemands de l’Est, ils commentent leurs réponses en parlant de "nostalgie".

    Hélas, si les Allemands de l’Est attendaient plus de libertés (principalement individuelles), ils voulaient aussi conserver ce qui fait cruellement défaut dans nos sociétés "libérales" : la solidarité envers les plus démunis, la stabilité de l’emploi, un large accès à la culture, des loisirs pour les enfants … Ce n’est pas de la nostalgie. Aujourd’hui le petit peuple regrette le communisme et les représentants les plus progressistes des élites (comme les artistes) sont clairement sur la même ligne. Comme dans beaucoup de pays européens, en flirtant à droite, les sociaux démocrates ont trahi leur électorat.

  • Berlin- L’effacement des traces
    le vendredi 6 novembre 2009 à 17:58, Colas BREUGNON a dit :

    Une exposition géniale à ne pas manquer !

    « Berlin : l’effacement des traces, 1989 – 2009 » Exposition visible du 21.10.2009 au 31.12.2009

    A partir de créations artistiques l’exposition met en scène les procédures de destruction de « Berlin-capitale de la RDA » et leur inscription dans un paysage urbain reconstruit d’où émergent de façon inattendue et souvent spontanée des traces du passé.

    Musée d’histoire contemporaine Hôtel des Invalides - Paris (Après avoir passé le porche, immédiatement à gauche, au fond de la galerie) Du mardi au dimanche, de 12h30 à 17h30.

    http://www.bdic.fr/

  • Berlin-Est et avoir été
    le jeudi 5 novembre 2009 à 07:31, Phil2922 a dit :
    l’insatisfaction en Europe centrale et dans les pays de l’est face au libéralisme exarcerbé montre qu’une troisième voie est nécessaire. En fait, la communisme s’est effondré car il ne laissait pas suffisamment de libertés aux gens, mais le capitalisme ne profite qu’à une minorité de personnes….
  • Berlin-Est et avoir été
    le jeudi 5 novembre 2009 à 07:03

    Et dans la précipitation d’une révolte légitime mais manipulée par certaines officines bien connues d’une importante agence américaine, on a bien vite jeté le bébé avec l’eau du bain.

    C’est bien : maintenant les Allemands de l’Est sont libres d’émarger au chômage, de boire du Coca et de regarder les vitrines pleines de beaux produits de consommation que pour la plupart, ils ne peuvent toujours pas acheter …

    Ils ont de la chance. Au même jeu, les Afghans ont gagné une guerre de 30 ans et aujourd’hui un vrai président "élu démocratiquement" !

BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte