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titre Côte d'Ivoire
auteur Aurélie Turc (texte écrit en 1998)
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Comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire avait réussi à assurer sa stabilité intérieure depuis son indépendance jusqu'au coup d'Etat du 26 décembre 99, sous l'impulsion d'Houphouet Boigny (Président de novembre 1960 au '7 décembre 1993', date officielle de son décès) et de la clé de voûte de sa politique et de la République ivoirienne durant ces 39 années, le PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire): Crée par Houphouet Boigny avant l'indépendance, le PDCI-RDA a fondé sa légitimité dans la lutte anti-coloniale et a établi sa position de monopole lors des élections pluralistes qui eurent lieu entre 1945-57, ce qui lui a permis de s'instituer parti unique de fait dans les années qui ont suivi l'indépendance de la république ivoirienne, malgré le multipartisme constitutionnel défini par l'article 7 de la constitution ivoirienne.Et la désignation par le président Houphouet Boigny, de Henri Konan Bédié, alors président de l'Assemblée nationale, comme son successeur à la présidence du PDCI, explique en grande partie le succès remporté par ce dernier aux élections de 1995 (contre le leader du PDCI, un seul opposant s'est présenté, F Wodé, membre du PIT , parti dépourvu de capital politique) après avoir achevé l'intérim du mandat présidentiel entamé par Houphouet Boigny.Le coup d'Etat des militaires constitue la première rupture avec la permanence politique assurée par les élites dirigeantes du PDCI. Dans le cadre d'une réflexion générale sur le fonctionnement de la démocratie interne dans les pays d'Afrique noire francophone, il est intéressant de dégager les logiques qui ont abouti à cette procédure autoritaire.Première amorce de réflexion, la question du monolithisme politique.Comme dans la majorité des pays d'Afrique francophone, le totalitarisme politique en Côte d'Ivoire se légitimait largement par la volonté de parachever l'intégration nationale et de rassembler les énergies pour la réalisation du développement économique et social.Le fait que l'élite politique ait pris le contrôle de l'Etat avant l'émergence d'une bureaucratie a renforcé le degré d'intégration et de contrôle de la fonction publique par cette élite. Jusqu'en 1980, le système du parti unique et d'élections non concurrentielles (multiplicité des candidatures, mais seulement au sein du PDCI, et à toutes les élections autres que présidentielles), dans une conjoncture économique favorable, a permis l'élargissement de la base sociale du pouvoir par cooptation, intégration et neutralisation des différents segments de l'élite sociale, autant de 'cadres' du PDCI 'incités à développer leur région'. ( Les bases économiques de la machine d'Etat et du système de patronage ivoirien étaient fondées sur le développement des exportations de cacao et de café, le haut niveau des investissements étrangers et l'utilisation des facteurs de production étrangers).La mise en place d'un régime semi-compétitif en 1980, et jusqu'en 1990 (instauration du système de candidatures multiples, qui nécessitait cependant l'agrément du PDCI) était une réponse symbolique à l'obsolescence technique et politique du système de parti unique provoquée par la conjonction de la raréfaction des ressources induites par la crise économique et de la surproduction des élites, que l'introduction de la compétition avait pour objectif de départager.Mais cette démocratisation était insuffisante du fait du surdéveloppement de la société civile par rapport à l'Etat: La croissance de l'Etat, associée à la généralisation de la crise et au développement du capitalisme ont généré des attentes politiques importantes, et influé sur le mode d'action des ivoiriens, qui sont passés de la recherche du bonheur privé (i.e recherche du bien matériel accru pour soi) à l'action publique.

La nature des enjeux constitutifs de la crise (les intérêts des salariés) ne pouvant trouver de réponse dans les mobilisations légitimistes du passé, l'analyse du 'syndrome d'Akouédo', qui prônait le maintien de l'ordre au risque de l'injustice, s'est alors clairement exprimée en terme de limites. Avec elle, ce sont les questions de la forme de l'Etat importé et de la conception de la nation qui méritent d'être posées.

Le système de parti unique donnait l'impression de rejeter toute avancée du processus de démocratisation dans un futur très éloigné, lorsque la 'Nation' serait constituée.

En Côte d'Ivoire, le président Houphouet Boigny avait institué par le biais du PDCI un mode de régulation socio-politique néo-patrimonial, avec un secteur public géré comme un domaine privé par l'Etat, les zones clés du système parapublic ayant été associées au contrôle présidentiel des finances publiques, et à la corruption (par exemple, statut particulier de la caisse de stabilisation, qui était sous contrôle direct d'Houphouet Boigny).

L'Etat était donc devenu un système de rétribution de services rendus pour la reproduction du système et des oligarchies dirigeantes. Cela illustre la notion de 'politique du ventre' utilisée par JF Bayart, d'après laquelle diriger revient à accéder aux fonctions politiques génératrices de profits pour son compte ou celui des siens, aux pots de vin substantiels provenant d'entreprises étrangères ou de notables locaux.

Le Général De Gaulle soulignait que "l'Etat, pourvu qu'il soit Etat, est le guide et le rempart de la nation. Mais, pour qu'il soit efficace, il faut que les instruments par lesquels le pouvoir légitime agit dans tous les domaines fassent corps avec lui et à tout moment". En Côte d'Ivoire, comme dans la majorité des régimes indépendants d'Afrique francophone, l'insuffisante institutionnalisation du pouvoir politique a été et reste un des obstacles majeurs à la démocratisation de l'Etat.

Autre question liée aux postulats et à la logique du système de parti unique, et qui demande à être posée dans le cas de la Côte d'ivoire (plus encore qu'au Sénégal, où le pays est relativement homogène, musulman à 94%), est la question de l'affirmation de la Nation, et de sa représentativité. (à développer: les sources du concept d'ivoirité, et fantasme de l'envahissement)

Les graves incidents qui ont accompagné les élections générales sénégalaises de février 1988 ont servi de prétexte à plusieurs chefs d'Etat africains pour souligner la responsabilité principale du multipartisme dans les troubles vécus au Sénégal, et par voie de conséquence dans la fragilisation des pouvoirs politiques en Afrique. De même, le président Houphouet Boigny manifesta ainsi son hostilité au multipartisme dans le Figaro du 20 avril 1990: "il ne correspond pas à nos traditions africaines; chaque fois qu'il a existé, il a entraîné affrontements (…), fraude électorale, paralysie politique".

En effet le pluralisme électoral, contrairement au système patrimonial du parti unique qui impose unité et homogénéité aux organisations sociales, s'accommode notamment aux intérêts particularistes des sociétés pluri-ethniques.

Aussi, il est permis de se demander si avec l'adoption du multipartisme en Côte d'Ivoire (le 30 avril 90, réforme constitutionnelle légalisant les partis d'opposition; suivie par la reconnaissance de 39 formations politiques à base idéologique, ethniques, régionales ou religieuses), sous la pression des universitaires et opposants entre autres, la République ivoirienne n'a pas été rattrapée par son histoire coloniale, et contrainte à prendre du recul par rapport à la conception castratrice de la nation sur le modèle français. (Contrairement au Sénégal, les listes électorales en Côte d'Ivoire sont monoethniques)

Cependant, ce débat est relayé par une autre question très générale qui est celle de la réalité de l'adhésion des gouvernants aux conversions démocratiques entreprises (rappelons le, sous la pressions d'économies en crise et de sociétés en révolte, et sous la contrainte des organismes internationaux et des bailleurs de fonds), et de l'impact des transformations sur les régimes politiques.A ce titre, le cas de la république ivoirienne est significatif: Malgré le retour au pluralisme politique, il n'y a pas eu d'alternance politique aux élections présidentielles de 1990, ni à celles de 1995.

Plusieurs facteurs expliquent cette permanence du personnel politique: D'abord, l'institution d'un modèle semi compétitif entre 1980 et 90 peut être comprise comme une tentative de naturalisation de la domination des couches sociales au pouvoir depuis les années 40, accompagnée d'une reconversion politique du capital économique, social et culturel accumulé par le biais du PDCI et de ses réseaux de clientélisme.

Ensuite, le capital accumulé et reconverti du PDCI est de par son ampleur un autre facteur de prédominance sur les autres formations politiques, de par sa capacité redistributrice.

Enfin, la restructuration du champ politique s'est faite par rapport et contre le PDCI, débouchant sur une forme de bipolarisation de la vie politique. (Par comparaison avec le Sénégal, où la bipolarisation du jeu politique s'est faite de manière relativement équilibrée, on comprend ici l'importance du capital bien particulier du PDCI évoqué ci-dessus ).

Autre permanence, est celle de l'incapacité du régime à faire aboutir les revendications économiques et sociales (cf émeutes très violentes de 1990 suite au programme drastique de réduction des dépenses publiques, qui était quasiment intégralement porté sur les salariés; et en 1999, les primes non versées aux militaires, etc.), sous couvert de mesures politiques symboliques.

Comme l'écrit F Fritscher, dans le Monde du 26 décembre 99, "Henri Konan Bédié est tombé, enferré dans ses contradictions, pour n'avoir pas su jouer le jeu de la modernité, de la démocratie et du libéralisme. Il a cru qu'il pouvait gérer la Côte d'ivoire et ses administrés en vieux chef africain. Un anachronisme fatal à la veille de l'an 2000".

(à cet égard, la polémique actuelle autour du concept d'ivoirité et de l'éviction d'Alassane Ouattara et des membres de son parti, le RDR, lancées par l'ex président Henri Konan Bédié rappellent certaines stratégies d'Houphouet Boigny pour évincer ses adversaires politiques potentiellement dangereux. )

(Il serait intéressant aussi de remonter aux sources de l'antagonisme qui opposait HKB et AO, et qui plonge ses racines dans la politique amorcée par Alassane Ouattara alors qu'il était premier ministre d'Houphouet Boigny: Entre 1991 et 1993, c'est le gouvernement Ouattara qui exerçait effectivement le pouvoir, et dont le programme visait à purger, réduire et reconstruire tout le système bureaucratique ivoirien. De par son programme de privatisations visant à réduire les prises de participation de l'Etat dans l'économie aux fonctions stratégiques, il avait entrepris le démantèlement de l'Empire Houphouet, et des systèmes de patronage, etc.)

(piste intéressante aussi: la recomposition du champ politique depuis le coup d'Etat

l'éclatement du front républicain anti Bédié; et la formation d'une coalition contre la fraude électorale, donc indirectement contre la candidature de Ouattara aux présidentielles, entre les deux anciens partis ennemis, le FPI et le PDCI…)

les adversaires en présence ont des orientations et des valeurs quasi communes; ils ont seulement des intérêts en conflit…

 

 

 

 

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