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EUROPE SANS FARDS 1999

exposé de Claude Cheysson, devant le Club Réalités Internationales, le 16 décembre 1999 Commissaire européen à Bruxelles pendant douze ans - huit ans avant d'être ministre et quatre ans ensuite -, Claude Cheysson a été ministre des relations extérieures de mai 1981 à janvier 1985. Ce grand acteur sur la scène européenne ne cache pas sa perplexité sinon ses inquiétudes devant les perspectives de l'élargissement mais il espère beaucoup de la dynamique contraignante créée par l'euro.

Cela est tout à fait clair aux yeux de Claude Cheysson: l'élargissement de l'Union ne peut conduire qu'à la constitution d'un espace économique commun, « mieux qu'une zone de libre-échange mais certainement pas à une Union approfondie », alors que cet approfondissement sera nécessairement réalisé par la dynamique de la monnaie unique mobilisant un nombre plus restreint de membres, ceux qui adhèrent à l'Union monétaire. Nous avançons donc dans la construction de l'Europe mais dans deux directions divergentes ».

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La dynamique de l'euro

La seule avancée « significative, prometteuse », c'est l'adoption de la monnaie unique qui se place « dans une logique remarquable » par rapport à ce qui a précédé. Cette adoption va nous obliger - j'ai bien dit « obliger », souligne Claude Cheysson -, à aborder des activités, des secteurs, des politiques nouvelles . Nous serons obligés de les aborder conjointement, parfois communautairement, le plus souvent nationalement mais d'une manière conjuguée ». Et l'orateur de citer Jacques. Chirac qui disait dès avril 98 : « nos politiques budgétaires seront soumises à une stricte surveillance » et aussi : " chaque gouvernement devra tenir compte des autres pour gérer sa fiscalité, ses dépenses sociales, la répartition de ses investissements." Le Sommet européen de Luxembourg de novembre 1997 avait confirmé ces contraintes. Que les Quinze n'aient pas réussi à se mettre d'accord sur une harmonisation fiscale (à Helsinki) en 1999 ne surprend pas Claude Cheysson : « on échouera encore mais on y arrivera, on y sera contraint , c'est une évidence »

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Les pièges de l'élargissement

Tandis que tous les acteurs, gouvernements, Conseil, Banque centrale, médias, opinions s'intéressent ainsi aux développements impliqués par l'euro, un autre développement s'impose : l'élargissement de l'Union. « Il est de nature totalement différente, souligne Claude Cheysson, mais nous sommes engagés, l'Allemagne y tient, « les promesses sont faites, les trains sont lancés », un train de six nouveaux membres, un train de sept suivra, avec la Turquie. Madeleine Albright,  « toujours généreuse quand il s'agit de nous », disait même ( The Economist, 1977) que l'Europe intégrée devait inclure la Russie ! Il sera « très difficile » de se limiter aux douze ou treize nouveaux candidats. Pourquoi pas l'Ukraine, l'Arménie, les pays du Caucase, ironise Claude Cheysson, « profondeur et largeur sont inversement proportionnelles ». L'orateur donne plusieurs exemples des obstacles qui se dresseront avec l'élargissement. Il observe ainsi que les prévisions budgétaires de l'Union incluant les six premiers nouveaux candidats maintiennent les dépenses dans la même proportion du Pib qu'actuellement soit 1,13 % ; or les nouveaux représentent 30 % de la population actuelle de l'Union mais 6 % seulement du Pib. Résultat : une réduction assurée des capacités financières d'intégration. En outre, bien des politiques nouvelles imposées par la monnaie unique seront inaccessibles aux nouveaux membres. Ces derniers sont, par ailleurs, très réticents à abandonner des éléments d'une souveraineté qu'ils viennent de recouvrer : « on est heureux de rejoindre l'Union mais on n'accepte pas pour autant de perdre les droits qu'on avait cru recouvrer après la disparition de l'Urss ».

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Un Parlement en trompe l'oil

Claude Cheysson affiche son scepticisme vis-à-vis du rôle du Parlement européen sur sa capacité à maîtriser aussi bien l'approfondissement que l'élargissement. Il lui paraît « totalement exclu » qu'un Parlement européen élargi ait son mot à dire sur les décisions prises par les pays de l'euro pour conforter leur union.

L'ancien commissaire, bien placé pour en juger, estime, en revanche, que la Commission européenne, bien que « n'ayant aucun pouvoir de décision » représente « une capacité de provocation singulièrement intéressante » et aussi « une capacité de suivi » pour les décisions prises par le Conseil. L'orateur n'est pas sûr que la Commission garde le droit exclusif actuel d'initiative. " Un Parlement en trompe l'oil, une Commission qui, au mieux, aura un droit de suggestion "  : le jugement est sévère, provocateur. Et ce brouillard : " nous ne savons pas où nous en sommes en matière de coopération renforcée pour ceux des pays qui voudraient avancer ".

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L'Europe-gigogne

Abordant les autres domaines ouverts également par le traité d'Amsterdam, la politique étrangère et de sécurité communes, la Pesc, l'orateur souligne les confusions actuelles. Inventeur de la Convention de Lomé, en cours de négociation, Cl..Cheysson relève que les budgets qui s'imposent à ce titre aux membres de la Communauté ne sont pas les mêmes que ceux qui s'imposent pour le budget communautaire, concession à l'Allemagne...

Claude Cheysson invente l'expression « d'Europe-gigogne " à propos des empilements de situations diverses qui s'établissent ainsi entre les pays de l'Union. Hors des politiques communautaires (agriculture, commerce) « nous aurons une conjonction d'actions entre ceux des membres de l'Union, toujours les mêmes, qui auront un intérêt commun ». Mais une politique globale de sécurité, « c'est un non sens ! ». Il prend acte qu'un corps d'intervention a été créé, mais rien n'est prévu pour le renseignement et la coopération dans les industries d'armement n'existe que là où les industriels y ont trouvé un intérêt, elle n'est pas systématique. Quant aux déclarations sur l'Ueo, elles sont « parfaitement cyniques ». On répète que l'Alliance atlantique est le fondement de la défense collective de l'Union alors que plusieurs de ses membres ne font pas partie de cette Alliance : Contradiction ! Toutes ces critiques n'enlèvent rien à la conviction, enracinée de longue date, de Claude Cheysson de croire au progrès de la construction européenne. Notes de Michel Cuperly

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